Patricia Bouchet / Une araignée dans le rétroviseur

Une écriture sensible et délicate pour dire  de manière saisissante
le retour à la fois douloureux et libérateur d’une jeune femme vers son enfance.
Un récit court, mais dense et émouvant.


« Je pars. »
Un verbe, tout simple. L’origine et l’aboutissement du récit.
Pourquoi ? « Je veux, oui, me souvenir et dire sans crainte. Je veux avancer. »

Partir vers la maison d’enfance, le passé. Une nécessité. De là (re)partir sur un nouveau chemin. Là où les araignées ne font plus peur… Ce parcours porté par une écriture qui dès ce premier livre, se révèle singulière et maîtrisée, amène la narratrice jusqu’au Secret, enfoui si profond depuis tant d’années, au point d’être sorti de sa mémoire. Mais ce n’est pas la fin du récit, c’est au contraire une ouverture : « Je venais en ces lieux retrouver un passé, je découvre un chemin. » La maison EST l’enfance : y déambuler est une image du cheminement intérieur.

L’autrice conduit fermement son récit pour créer un univers, celui de son enfance revisitée. Mais c’est par petites touches qu’elle dessine et rend peu à peu présents ces lieux. Aucune description n’est en fait gratuite : toutes révèlent les sentiments, les peurs, les joies, de manière indirecte, dans une gravité légère (si je puis me permettre cet oxymore). Des traces perçues, des détails pleins de sens, toujours chargés d’émotions, c’est un monde donné à comprendre par des sensations qui surgit. Un paysage, des fleurs, un bruit, tout est vivant, tout parle et dit aussi que le passé est dans le  présent, malgré tout : « La petite lucarne, au-dessus du point d’eau continue de jeter un œil sur le jardin, elle mesure le temps qui passe, surveille la pluie tombante, ou, simplement, guette le porteur de nouvelles. »

Et voici la pièce du secret, une pièce où « les murs se resserrent »,« une odeur refait surface », « une odeur bruyante » : c’est elle qui va faire surgir le souvenir.  Elle sait, enfin. « Le secret était dans l’oubli, couverture de survie. »
Libération, renouveau : « Ici commence le chemin ». C’est encore la nature, des éléments du décor, du jardin, un pont, qui racontent sans solution de continuité passé et présent. Il est maintenant temps de passer sur l’autre rive.

La mise en page joue aussi un rôle : elle accompagne la progression, suit la tension que les phrases, brèves, parfois seulement nominales, donnent au récit à certains moments, par des retours à la ligne qui les isolent dans l’espace de la page. La qualité de l’édition est aussi à souligner.

Je ne commenterai pas le titre : découvrir sa signification est aussi un plaisir : il paraît énigmatique et pourtant il contient l’histoire… C’est encore un exemple de cette écriture sensible qui prend le détour d’une image pour dire l’essentiel, l’enfoui et le révélé.

Evelyne Sagnes

3 réflexions sur “Patricia Bouchet / Une araignée dans le rétroviseur”

  1. C’est le récit fait par une jeune femme qui revient sur des lieux de son enfance, pour retrouver cadre de vie et sensations, mais aussi, et peut-être surtout, pour faire la paix avec un événement énorme qu’elle a subi.
    Le récit sait aborder un sujet plus que lourd dans une simplicité qui donne à ce vécu une densité extraordinaire. On est aux antipodes de ces textes hélas trop fréquents et trop médiatisés qui ne parlent que sur le mode du Pathos avec un P majuscule.
    Ici la gravité ne diabolise rien ni personne. La victime est juste authentique, retrouvant à la fois les faits et le vécu heureux qu’elle a connu et qui lui permet de vivre.

    C’est une courte nouvelle, mais un grand chemin de vie.

    L’écriture a l’air toute simple, mais c’est une dentelle ciselée aves l’amour de la vie qu’elle dégage. Et Patricia photographe sait dessiner avec des mots les paysages, les intérieurs, les personnes, les états d’âme.

    On est juste …..touché au plus profond.

    igolène

  2. Ping : Une araignée dans le rétroviseur – Ma collection de livres

  3. Très belle lecture de ce premier roman de Patricia Bouchet dont j’aimerai te parler, ami lecteur.
    Déniché il y a quelques semaines lors du très vivant et très joyeux Printemps des Poètes célébré à Peyrolles en Provence, ce récit tisse véritablement une toile jusqu’à nous capturer et nous faire vibrer au fil des pages.

    L’histoire du choix de cet ouvrage est intéressante car elle montre combien , même avant de l’avoir ouvert, il avait déjà une résonance particulière pour moi.

    Je cherchais un livre à offrir à ma sœur, la complice de mon enfance, celle avec qui je peux partager mes souvenirs les plus anciens.
    Fidèle à l’époque où je choisissais mes parfums à l’esthétique de leur flacon, j’ai saisi ce petit format, attirée par sa couverture: le titre, le visuel, le nom de la collection: « main de femme » et la quatrième de couverture.
    -Cette phrase, qui n’en est pas une, m’a totalement fait chavirer: « …une maison blanche. Celle de l’enfance où le temps compte si peu ».
    C’est sûr, elle allait retrouver toutes ces odeurs, ces personnages, toutes ces images qui fabriquent les souvenirs de l’enfance dont « on ne guérit jamais » selon Bernard Minier. (Auteur lui aussi)
    -Comment rester insensible à l’intitulé de la collection: main de femme?…
    Moi, qui dans ma vie de sage-femme, ait tellement tenu leurs mains; moi, qui de ma main ait souvent montré le chemin vers un sein parfois si peu confiant en son potentiel; moi, qui ait accueilli dans mes mains tant de nouveaux êtres pour leur passage sur terre.
    -Puis, le titre m’a amusée: Une araignée dans le rétroviseur.
    Pour deux raisons:
    Braver ma peur des araignées et « leur tendre la main » pouvait être un véritable challenge intellectuel
    La parabole du rétroviseur me plaît souvent pour signifier combien le vertige peut me saisir à l’évocation du temps qui passe et de tous ces souvenirs empilés.

    4 signes à côté desquels je ne pouvais passer à côté au vu de ces premières émotions; 4 signes à saisir, et c’est tout naturellement que cet opuscule s’est retrouvé dans mon sac….

    La rencontre avec l’auteure, proposée dans le fourmillant programme de ce salon du livre, est venue également me troubler curieusement.
    Lorsque Patricia Bouchet a raconté son propos, la maison de Saint Martin m’est apparue de façon évidente comme un ventre maternel, berceau d’une incomparable protection pour chacun de nous.
    Afin de vérifier si j’avais, ou non, une araignée au plafond, j’allais donc lire ce récit avant de l’offrir. 😉

    Dès la première phrase, Patricia Bouchet qualifie cette maison de « ventrue » pour quelques lignes plus tard, annoncer qu’elle est « sa matrice »…..
    J’y étais, dans ce lieu des origines et cette bouleversante analogie fonctionnait donc parfaitement.
    Très vite, les mots choisis avec minutie, les phrases personnifiants habilement les objets, leur attribuant parfois une fonction insolite m’entraînent dans un monde proche du jardin merveilleux d’Alice.
    Sans l’intelligente mise en page, très aérée; sans la poésie de l’écriture, la densité des perceptions pourrait me submerger…
    Exactement comme le nouveau né tout juste arrivé au monde est assailli par ses cinq sens, différemment sollicités.
    Ma comparaison au ventre maternel se poursuivait et se confirmait avec « la clarté intrusive inondant violemment la maison » (P.42) comme sans doute lors de notre naissance où le contraste entre le clair-obscur de notre caverne primitive et la luminosité soudaine de notre vie terrestre nous saisit.
    Et pour mieux en savourer l’intimité, l’héroïne retrouve la nudité des premiers instants: « je vis et ressens comme pour le première fois » (P.55).

    Le personnage du roman décide de revenir vers la maison de son enfance « pour renaître et devenir ». On devine un secret dont le souvenir est enfoui, « prisonnier de ses entrailles, couverture de survie».
    La description du cheminement vers la maison, lente comme une naissance inversée, imprégnée de sensations multiples me conduit peu à peu du merveilleux à une obstinante interrogation autour de la raison de ce retour.
    Petite pause avant de plonger dans les ténèbres: la scène de la cuisine et de sa cuisinière, transcrite de manière très visuelle- mais quoi de surprenant de la part d’une auteure également photographe sensible- me mouille les yeux faisant resurgir un doux souvenir de vacances en Dordogne où l’employée de maison s’appelait aussi Jeannette et dont les lieux pourraient s’apparenter à Saint Martin…Émouvante coïncidence! (P.28)
    A mesure que cette femme arpente les pièces de la maison, comme dans un thriller, on approche du secret. Les phrases se font de plus en plus courtes jusqu’à parfois ne plus contenir de verbe.
    Comme dans un thriller, on halète; comme après une naissance, on allaite….

    La trajectoire du récit se déroule comme la roue des quatre étapes de l’apprentissage selon Maslow pour enfin « se souvenir et dire sans crainte. Reconnaitre le chemin parcouru et pressentir les épreuves à venir » (P.45)

    Faire face à ce terrible souvenir, s’en détacher pour « renaître et devenir », sans oublier.

    Ainsi, la métaphore que j’avais formulée se vérifiait: quoi de plus rassurant, quoi de plus propice, quoi de plus doux que l’enveloppe originelle pour braver ses fantômes et décider de passer le petit pont de pierre pour aller vers la vie.

    61 pages concises, intenses et encourageantes pour qui ose affronter ses traumatismes.
    Chapeau Patricia Bouchet pour ce voyage sensoriel et salvateur!

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