Céline Didier / C’était ton voeu

Une lecture de Patricia Bouchet.

Premier roman de Céline Didier. Un roman, un témoignage, un récit ? Peu importe. C’est un livre dans lequel le lecteur plonge, presque intrigué. Tant de livres nous parlent encore et/ou nous ont parlé de la Seconde guerre mondiale, des camps de concentration. Nous pourrions penser qu’aucune chose nouvelle pourrait nous être dévoilé, conté.  C’était ton vœu  nous retrace la vie d’un grand-père résistant, dénoncé et interné en camp de concentration. Sa petite fille se pose des questions sur ce qu’il faut dire, comment dire l’histoire de cet aïeul. Le début du roman porte sur ces hésitations, l’angle à trouver. Parler de ce grand père, de qui il était. De souvenirs communs et ensemble.De ce grand-père disparu, et de ce qu’il a gardé de cette épreuve, les traces, les « pas-dits »de son vivant. Puis, elle retrouve son carnet « Souvenirs » où il a jeté des notes, un début de désir de transmission. Puis un complément, qui précise le camp.

Mais le roman porte aussi sur ce que porte les descendants de ces survivants, sur ce qu’il reste dans les familles d’un tel passé de souffrances. Cette petite fille, désireuse de rendre hommage, tourne autour du sujet. Les premières pages « Et si on l’écrivait cette histoire » sont des balbutiements qui témoignent de ses hésitations et puis … « Ton brouillon… la suite de l’histoire ». 
Tout se dit, ou presque, enfin.
La narratrice avance, s’interroge et entremêle son récit à celui du grand-père :

« Vous êtes nombreux à travailler ici
mais vous n’êtes pas tous logés à la même enseigne
tout ce qui est de l’ordre de la corvée
C’est pour vous
« Que d’affronts à supporter ici
le plus sale travail était pour nous
il nous fallait souvent tremper les mains
dans l’acide sans gants de caoutchouc » (p. 130)

Ces passages sont émouvants. Ils tissent le lien pour ceux qui suivent. La transmission. Le livre est presque une conversation entre ce grand-père et elle-même. Sans ponctuation. Un découpage des phrases particulier, comme des flèches qui donnent du rythme et scandent le propos. Une poésie de l’horreur ? Non, un séquençage pour dire le fracturer d’une vie, pour mettre en forme la parole qui s’ouvre par morceaux. On ne raconte pas l’horreur d’un trait. On ne peut livrer ce passé à Dachau que par fragments.

Ce matin-là
En quelques instants seulement
Ce grand costaud
Avait laissé transparaître toute sa fragilité
Il essayait de me donner sa version
de l’histoire
De son histoire
À lui
De la guerre
Comme il l’avait vécue
Lui.

Une trace, un témoignage à deux voix, qui certes parle d’effroi, d’horreur, des camps de concentration, de délation mais qui EST et RESTE un grand cri d’amour à ce grand-père survivant et héroïque. Beaucoup de pudeur dans la façon d’appréhender, de dire l’impensable. C’est un roman original par sa forme et bouleversant.

En couverture, quatre portraits Photomaton du grand-père en 1967. L’invention des cabines Photomaton vient conclure le roman. Un détail à découvrir.  Comme un signe. Le détail qui toujours, ramène au passé.`


Céline Didier, Née en 1976 à Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Vit actuellement à Lorient. C’est en Bretagne que Céline Didier a posé ses valises en 2012. Elle n’en est pas repartie. Elle ne se lasse pas de cette région pour laquelle elle a eu immédiatement un coup de cœur, faisant même passer la capitale des Gaules en deuxième position. Lyon, elle y était arrivée pour étudier l’histoire et y était restée une quinzaine d’années. Son métier dans les domaines de la culture et de la communication (action culturelle autour du livre et de l’écrit, archéologie préventive, art contemporain…) et sa vie personnelle l’ont ensuite amenée à parcourir d’autres contrées, plus ou moins éloignées… de la Méditerranée au Morbihan.  L’écriture fait partie de son quotidien professionnel depuis longtemps. Elle a d’ailleurs également corédigé des ouvrages thématiques sur les politiques culturelles. Mais c’est un autre type d’écriture plus personnelle, sans contraintes, sans éléments de langage, qu’elle a eu envie d’explorer. Elle se donne alors toute liberté de ton, de style, pour aborder une histoire très personnelle qui résonne aussi de façon universelle. Par une écriture intime et directe, elle plonge dans l’histoire de son grand-père en mettant au jour les traces qu’il en reste – souvenirs et écrits –, tente de comprendre les silences, questionne l’engagement, la filiation, la transmission et la vie… après la déportation. Cela donne naissance à son premier livre intitulé C’était ton vœu et publié aux éditions Lunatique.


C’était ton vœu  a fait partie de la sélection 2023 des « 68 premières fois »


Questions à l’auteure.

Comment l’idée de ce découpage des phrases vous est venue ? Y avez-vous mis un sens particulier ou cela correspond à votre style ?
Ces vers libres ou phrases coupées ont été comme une évidence dès les premières lignes, ça me donnait le rythme, le tempo. Je n’y ai pas vraiment réfléchi ça s’est vraiment imposé à moi.
En quelques mots, la genèse de ce roman ?
Ce livre est né 2 ans après le décès de ma grand-mère, Simone. Ce n’est sûrement pas un hasard, il n’y avait plus personne pour répondre à mes questions. Quand j’ai décidé de commencer à écrire cette histoire, tout est allé très vite, je me suis autorisée à m’accorder du temps, c’était le bon moment et il ne fallait pas le laisser passer, il y avait comme une urgence à enfin me plonger dans cette histoire.

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