Angélique Villeneuve, Les ciels furieux

La lecture de Patricia Bouchet.
Les ciels furieux, éditions Le Passage


Il faudrait rentrer dans le nouveau roman d’Angélique Villeneuve sans connaître le contexte, l’intention, le résumé.

Pour lire Les ciels furieux, il faut se laisser porter, guider par l’écriture de l’auteure. Savourer l’intelligence de cette écriture qui se déplie au fil des pages. Il est question de fratrie, d’initiation, de transmission mais surtout de l’enfance et du pouvoir de l’imaginaire. Le tour de force est bien dans l’intention que l’auteure a. Créer un univers poétique, proche d’un conte, baigné dans un contexte d’horreur. Il faut avancer doucement avec ses mots, dans cette ambiance, parfois mystérieuse qu’elle crée.

Une scène ouvre le roman, p. 11, deux mots « s’enfuir et arrache » indiquent que la scène est violente. Une intrusion. L’imaginaire d’Henni prend instantanément le dessus, et l’écriture d’Angélique Villeneuve masque l’horreur. Puis flash-back sur l’histoire de cette famille, sur l’originalité de la fratrie, On rentre dans leur quotidien, dans la relation particulière qu’à Henni (8 ans) avec son aînée, Zelda (12 ans) et celle tendre avec les « bébés ».

Il y a le père, p. 13 : « Les pères doivent faire en sorte d’être craints par l’ensemble de leurs enfants, mais Arie Sapojnik n’a pas réussi à obéir au rabbin. On voit qu’il essaie mais n’essaie pas vraiment, ou alors pas longtemps » … « Le père travaille au-dehors, dans le shtetl et au-delà, on ne sait pas avec précision à quoi il s’occupe. Il achète ou il vend des choses. Ce qu’on sait c’est qu’il rentre fourbu, marmonnant mais aimable pourtant, capable d’apprécier le travail qu’en son absence on a accompli.. »

Il y a la mère, p. 15 « Si la mère ne s’intéresse ni à la conversation générale ni aux évènements de la vie familiale, c’est qu’elle a un motif. Elle couve ou se remet de ses couvaisons. »

Il y a la fratrie, le frère aîné, Lev, les bébés et la sœur aînée Zelda. La fratrie n’a pas besoin d’une mère comme les autres puisqu’il y a Zelda et « Zelda est tout » (p. 16).

Le récit est à hauteur du regard d’Henni. On découvre, on visite, on entre dans une famille. Henni, 8 ans, traverse la guerre qui l’entoure avec le souci des autres, de ses frères et sœurs, des bébés, de celui dont elle est responsable. Une fratrie au fonctionnement particulier. Une mère, bien que présente physiquement, est absente dans son rôle maternel, les aînées auxquelles on attribue des responsabilités : la cuisine, la couture puis LA responsabilité d’un nouveau-né. Henni craint le frère, adore la sœur aînée. Celle qui initie aux choses de la maison, des bébés, à tout. Zelda est celle qui sait, initiée elle-même par la grand-mère. Entre elles, un lien particulier. Henni a ses rituels, notamment une « histoire de doigts » touchante, à laquelle elle se réfère dans les moments difficiles. Comment Henni fait avec les évènements, les émotions qui rôdent autour d’elle, qui font fuir et séparent la fratrie ?

Elle a sa vision des choses, sa façon de les sublimer pour peupler son quotidien. Elle s’empare de tout, de chaque détail pour créer son monde, entre poésie et frayeur. Elle se réfugie dans son imaginaire afin de supporter la réalité. Au fur et à mesure que se déroule le récit, elle se souvient pour fuir sans oublier.

Rêve-t-elle par moments ? Est-ce l’intention de l’auteure de nous prendre dans les filets de son écriture ?

Le lecteur suit cet enfant qui sublime ou tremble. L’écriture est un fil de soie qui sur certains passages, fait oublier le contexte et l’horreur qui se joue. Moment de grâce. Plus on avance dans le récit plus le fil se tend et la réalité refait surface. La construction du récit fait un joli maillage entre un présent furieux et un passé nostalgique et poétique. C’est toute la délicatesse et la force de l’écriture d’Angélique Villeneuve, tout se tient, on avance et on y croit. Tantôt sur ce fil, comme un funambule en équilibre dans des hauteurs poétiques et tantôt plongé, happé par la violence du contexte, la crainte toujours du pire. Tout se marie, se mélange, tout est crédible.

Henni a fui mais elle avance et revient. Que trouvera-t-elle ? Qui retrouvera-t-elle ?

Grande résonance avec notre actualité. L’enfance saccagée par la guerre. L’enfant au milieu des conflits


Angélique Villeneuve, vous êtes l’auteure de plusieurs romans. Les émotions, appréhensions sont-elles toujours les mêmes pour la sortie de ce 9e roman ?

Bien sûr. Je dirai même que la tension monte ! C’est un mélange de peur et de joie, dont les proportions varient selon les jours, et même selon les heures. J’espère chaque fois être à la hauteur de ce que mes personnages m’ont donné, et de ce que, peut-être, le lecteur attend. On est jamais, je crois, blasé de ça.

Qu’avez-vous éprouvé au moment de lâcher Henni vers vos lecteurs ?

Je n’oublierai jamais aucun de mes personnages, mais je crois qu’Henni est à part. Elle est au-dessus, en tout cas au-dessus de moi, par sa puissante fragilité. On m’a dit plusieurs fois que Les Ciels Furieux était un texte « à hauteur d’enfant ». Pour commencer, je dirais que pour parvenir à celle d’Henni, il ne faut pas se baisser, mais s’élever, avec elle, entre les branches des arbres, dans la richesse d’un imaginaire dont l’intuition est parfois stupéfiante. S’élever dans la droiture et l’amour des siens. Davantage qu’une histoire à hauteur d’enfant, en réalité, c’est un corps d’enfant dont j’ai tenté de restituer la langue, la respiration, le chaos et l’élan.

Les résonances avec l’actualité influent-elles dans les différentes rencontres. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Jamais, en écrivant cette histoire, je n’aurais pensé que les pogroms allaient revenir, que le passé bégaierait ainsi. J’en suis bouleversée et meurtrie.


Angélique Villeneuve, née à Paris en 1965 et réside aujourd’hui aux abords de la capitale. Elle a vécu en Suède et en Inde. Les romans d’Angélique Villeneuve racontent des trajectoires de femmes discrètes et éprouvées par la vie, telle l’ouvrière fleuriste en chambre au lendemain de la Grande Guerre, dans Les Fleurs d’hiver. Elle est l’auteure d’une quinzaine de livres, dont des albums pour la jeunesse et des ouvrages autour de la gastronomie.

Romans

  • Âge mental, Paris, Éditions Denoël, coll. « Format utile », 2001,
  • Ne plus y penser, Paris, Éditions du Panama, 2005, 189 p. 
  • Grand paradis, Paris, Éditions Phébus, 2010, 167 p.
  • Un territoire, Paris, Éditions Phébus, coll. « Littérature française », 2012, 152 p.
  • Les Fleurs d’hiver, Paris, Éditions Phébus, coll. « Littérature française », 2014, 150 p.
  • Nuit de septembre, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2016, 160 p.
  • Maria, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2018, 180 p.
  • La Belle Lumière, Editions Le Passage, 2020, 238 p.

Jeunesse

  • À la recherche du paon perdu, Paris, Éditions des Grandes Personnes, 2011, 188 p.
  • Les Très Petits cochons, ill. de Martine Camillieri, Paris, Éditions du Seuil jeunesse, 2013, 40 p.
  • Le Festin de Citronnette, ill. de Delphine Renon, Paris, éditions Sarbacane, 2016
  •  Le Doudou des bois, ill. de Amélie Videlo, éditions Sarbacane, Paris, 2016
  •  Le Grand Poulpe, ill. de Anaïs Brunet, Paris, éditions Sarbacane, 2018
  •  Paisible, ill. de Anna Griot, Paris, éditions Sarbacane, 2018.
  • Madame Mouette, ill. de Audrey Calleja, éditions Sarbacane, 2019.
  • Les herbes folles, poème, ill. de Eugénie Rambaud, éditions Le Port a jauni, 2019.
  • Piccolo, ill. de Amélie Videlo, éditions Sarbacane, 2020
  • S’appeler Raoul, ill. de Marta Orzel, éditions Actes Sud Junior, 2021
  • Je suis ton manteau5, ill. de Julien Martinière, éd. L’étagère du bas, 2023

Cuisine

  • Petits bouquets de cuisine, avec Martine Camillieri, Paris, Éditions Tana, coll. « Foood », 2007, 100 p)
  • La Feuille de figuier, Paris, Éditions de l’Épure, coll. « Dix façons de la préparer », 2011, 10 p
  • Yeu à la bouche : John Paul Carmona, un chef à l’île d’Yeu, avec Sophie Archambeau, Paris, Éditions de l’Épure, 2014, 107 p

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *