La présentation de l’éditeur (Buchet-Chastel)
La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l’érable, mais elle n’entre pas dans la maison. Elle n’y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l’après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c’est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu’elle a de la chance avec la lumière d’octobre, la cour de la maison, l’érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu’à elle dans l’air chaud et bleu.
Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.
Les Sources est le nouvel opus de Marie-Hélène Lafon après Histoire du fils, prix Renaudot 2020.
La lecture d’Igolène
S’il a déjà lu Marie-Hélène Lafon, le lecteur est déjà dans « son » Cantal, il entend couler la Santoire, il fait déjà partie de la Famille quand il arrive chez « Elle », cette femme qui est tellement « saccagée » (c’est le terme même de MHL) qu’elle n’a même plus de prénom pour celui à qui est contée son histoire.
« Dans trois semaines, le 30 juin, « Elle » aura trente ans. Trente ans, trois enfants, une belle ferme, trente-trois hectares, une grande maison, vingt-sept vaches, un tracteur, un vacher, un commis, une bonne, une voiture, le permis de conduire. »
Un statut social qui fait que sa place est ici, même si elle sait et sent bien qu’elle devra quitter cette situation de violence et le climat de peur qu’elle entraîne ; mais lorsque le livre commence, ce n’est pas encore le moment.
« Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils savent qu’il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc. »
Le récit est celui du parcours de de cette femme depuis son mariage avec cet homme qui dort et qu’il ne faut jamais déranger (on apprendra en milieu qu’il s’appelle Pierre), le fil de la vie qui l’a conduite à la dévastation dans laquelle le lecteur la trouve, vissée sur sa chaise. Mais si elle a perdu son corps, « Elle » est riche d’Isabelle, Claire et Gilles, les trois enfants. Elle conserve un regard lucide, une vitalité intérieure, une force, la conviction qu’elle saura, lorsque ce sera le moment, déranger l’homme.
C’est Claire, la fille cadette, qui, cinquante-et-un ans plus tard, qui donne le récit. Depuis la cour de la ferme, sous l’érable et la balançoire de leur enfance. Dans les quelques heures qui précèdent la vente de la ferme chez le notaire.
L’histoire n’est ni triste ni désespérée tant les femmes et les hommes avec qui on chemine sont authentiques et justes. Façonnés par les horizons larges du Cantal et la course de la Santoire, ces « Sources » qui sont peut-être les deux personnages principaux de cette Histoire, avec majuscule tant elle regarde loin. Des « Sources » qui disent le vrai visage des pays ruraux et de la vie loin des villes.
Ce livre ne dit-il pas que le présent, s’il se construit sur le passé, est surtout la porte du futur, et que là, il appartient à chacun ? Juste une nouvelle leçon de vie, un cadeau. Et ce cadeau est donné dans une langue, une architecture des mots qui font du titre une vraie partition qui se chante. « Elle ne fait jamais pitié, n’appelle jamais de compassion. Juste être là, avec « Elle » …..Un psaume ?
Interview de MHL sur F3 – Chroniques d’en haut, l’intégrale – 37min