Zogru, Doina Rusti I Une chronique de Brigitte Madacéno

En octobre 2022, Désirdelire a organisé une journée (voir ici) à propos de la traduction littéraire et invité Doina Rusti et sa traductrice Florica Courriol. L’une des modératrices de Désirdelire, Brigitte Madacéno, a conduit l’entretien avec l’autrice. Celle-ci a souhaité en garder la trace. Dan Burcea publie sur son blog la teneur de cet échange, sous forme de chronique.

Zogru, Doina Rusti, éditions du Typhon, 2022..


Avant de parler du sujet du livre, je tiens à préciser qu’il faut l’aborder en laissant tomber toute rationalité, tout cartésianisme, accepter de se laisser porter par le récit, sans obstacle. D’autre part, c’est un livre tellement riche, tellement foisonnant, qu’on ne peut pas aborder tous les domaines. Je ne me suis donc arrêtée que sur certains sujets qui m’ont particulièrement marquée.

Donc Zogru, c’est l’histoire d’une créature (spectre, fantôme) qui a la capacité de pénétrer à l’intérieur des gens – sans que ceux-ci s’en rendent compte – en passant par leur cou, en laissant juste 2 petites piqûres. On peut dire que c’est un roman fantastique, mais aussi historique puisqu’on balaye l’histoire de la Roumanie depuis l’année 1640 jusqu’à nos jours, en passant par le régime communiste et sa chute en 89. On apprend aussi beaucoup de choses sur le folklore roumain et les pratiques religieuses. Mais on ne suit pas la chronologie : on passe souvent d’une époque à l’autre en revenant en arrière. On passe aussi d’une histoire à l’autre, en fonction des personnages que Zogru pénètre. Un peu comme dans une série télévisée, ce qui en fait un roman très actuel. J’avais souvent l’impression d’écouter une copine qui me racontait l’histoire de quelqu’un, puis qui passait à quelqu’un d’autre, pour revenir au premier personnage.

Le 1er paragraphe illustre bien mon propos : il y est question d’un personnage qui a vécu pendant des siècles et qui a perdu beaucoup de sa fraîcheur et de son enthousiasme. La curiosité est tout de suite piquée, on a envie de rencontrer ce personnage, de savoir ce qu’il s’est passé.

 Mais avant d’aller plus loin, j’aimerais m’attarder sur la toute 1ère phrase du livre : « il ne lui restait plus qu’à attendre Andreï Ionescou ». C’est un début vraiment pas banal. On est déstabilisé dès le début puisque vous faites appel à deux personnages qu’on ne connaît pas encore. On se demande même s’il n’y avait pas un prologue qu’on aurait manqué !

C’est une phrase qui va revenir souvent dans le roman, souvent au début d’un chapitre, avant de nous dire qui est ce Ionescou, comme un leit-motiv.

L’histoire commence donc au 2e paragraphe, au printemps de l’année 1640. J’ai cru tout d’abord qu’il s’agissait d’un accouchement.

« Il ne savait pas très bien ce qui lui arrivait, ni dans quel univers il entrait, il était sous l’impulsion tumultueuse du besoin de quitter ce lieu chaud et douillet où il avait si longtemps sommeillé, caressé par une vapeur humide et puissamment parfumée. Sans idée précise, il avait bondi, irrésistiblement attiré par un monde dont il était bien loin d’imaginer la séduisante beauté. »

Tout de suite après, on entre dans le fantastique : l’être dont on parle est au milieu d’un champ, il voit tout en violet, et il se sent ébloui et attiré par l’homme qui se trouve en face de lui. Il s’agit de Pampou, auquel il s’attache corps et âme tout au long du livre.

Pampou lui ne ressent rien de particulier :

« il avait vu jaillir du sol un fin tourbillon de lumière verte qui s’immobilisa juste devant lui, droit comme un cierge…ensuite, il l’avait vu s’approcher lentement de lui en ondulant comme un cordon souple qui se déroulait sur plus de cinq mètres, puis il s’était figé une seconde en face de lui avant de bondir dans un éclair. »

On comprend que l’être entre dans les veines de Pampou, qu’il se laisse porter par le sang et les battements de son cœur avec enthousiasme, pour ensuite assimiler son histoire et ses pensées. Il devient l’autre tout en restant lui-même.

Vous avez rendu le personnage de Zogru très sympathique. Il pourrait utiliser son pouvoir pour faire le mal, or c’est plutôt un être bienveillant.

« Au cours des premières semaines, jamais il ne pensa à Pampou comme à une victime. Bien sûr, il était conscient de s’en être rendu maître, mais sans jamais outrepasser son pouvoir. Il se sentait plutôt comme un invité chanceux ou comme un touriste en villégiature. »

C’est un peu la destruction de nos schémas habituels. Pour la plupart d’entre nous, quelqu’un qui s’introduit dans les êtres humains cherche à gagner du pouvoir, à détruire, bref à faire le mal.

On tourne beaucoup autour de l’identité.

Il est parfois complètement Zogru, en faisant faire à la personne qu’il habite ce qu’il veut faire lui. D’autres fois, il sait s’effacer complètement pour comprendre les motivations profondes des gens qu’il habite. Il peut aussi se diviser en deux : à un moment, il émet un sourire énigmatique – « n’empruntant qu’une partie du sourire naturel de Pampou ». C’est en rencontrant une femme dont il va tomber amoureux, Ghuighuina, qu’il ressent le besoin d’avoir une identité et qu’il décide de prendre le nom de Zogru. Comme si l’amour était un puissant déclencheur.

Lire la suite sur le blog Lettres capitales.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *