John Herdman, Imelda

La lecture d’Evelyne Sagnes


« Ce sont donc ces deux documents que je vous envoie. Comme vous le verrez, ils sont étonnamment différents, se contredisent parfois directement, mais bizarrement et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils se complètent et se corroborent aussi l’un l’autre. » Extrait de la lettre du Major Rufus G. Agnew à Mrs Janice Moodie.

Voilà le lecteur également prévenu… À lui de s’interroger, comprendre, juger, ou se perdre !

Il s’agit donc d’un roman double : deux narrateurs, deux récits pour une seule histoire.  Ils sont envoyés à une jeune femme qui cherche à connaître l’histoire de sa famille. La question de fond porte sur l’identité du le père de Janice (Imelda est sa mère) : lequel des deux frères ?  Frank ou Hubert ? Un chroniqueur (c’est ainsi qu’il est nommé) apporte un dernier point de vue à la fin du livre. Éclairant ? « le dossier de la police reste ouvert. » Dernière phrase à lire d’abord comme une conclusion concernant l’un des personnages, mais aussi et malignement plus encore, comme « dénouement » impossible de cette histoire.

Le premier récit est celui de Frank (lequel sombre dans la folie, et qui est surnommé Superbo, l’orgueilleux), le second a été rédigé par l’oncle des deux frères.
Ces deux documents sont donc enchâssés dans un échange de correspondance entre le Major Rufus Agnew et Janice Moodie. Ils sont les seuls témoignages de ce passé.
A l’issue de sa lecture, Janice conclut :
« Je suis sûre que vous avez raison et que Hubert était mon père, du moins c’est ce qu’il me plaît de penser, il avait l’air d’être un homme bien. »
Une certitude… avec réserves.

L’auteur, John Herdman,  construit  fort habilement une fiction dans la fiction. D’un récit à l’autre,  il entretient le doute : où est la vérité ? La version  de Frank (la folie comme critère de sincérité ou comme incapacité ?). Celle de Sir Robert Afflek ? Les deux étant mises en concurrence par le Major qui lui-même a un avis… Le lecteur ne peut s’empêcher de s’interroger… sans pouvoir jamais être sûr de quoi que ce soit : Janice (avec ce prénom qui évoque inévitablement  Janus, ce dieu romain à une tête mais à deux visages opposés)  est finalement le miroir du lecteur. Et de toute façon que signifie la « vérité » dans une œuvre  de « fiction » ?

A cela s’ajoute une écriture très particulière, on pourrait la qualifier de « surannée », un peu grandiloquente, d’un autre temps. Elle déconcerte un peu au début de la lecture. Mais ce serait sans doute se laisser tromper par les apparences (et elles sont importantes dans cette histoire !) : une ironie subtile se dégage de  ce style qui ne s’autorise jamais le moindre écart de langage et parle des pires vilenies sans se départir jamais d’une remarquable noblesse d’expression. Une manière de dire l’hypocrisie du monde dans lequel évolue les personnages.

Venons-en à l’histoire que raconte John Herdman. Le romancier manipule constamment le lecteur et l’entraîne dans un jeu délectable (si le mot convient quand il s’agit de champignons vénéneux… mais pourquoi pas ! ) à qui trouve perd. L’éditeur se fait complice en proposant une couverture déroutante : deux champignons. Il n’est pas besoin d’être un mycologue averti pour reconnaître la fameuse et terrible amanite. Il y a dans le texte de merveilleuses descriptions de champignons d’ailleurs.Mais tout de même, des champignons ? Là encore, double justification : l’un des narrateurs, Frank, est passionné de mycologie et prépare un traité sur le sujet. L’image serait donc à prendre au sens propre. Mais est-ce bien le sujet ? C’est un autre venin qu’instille l’auteur dans l’histoire, dans les veines des personnages, voire dans l’esprit du lecteur.

Une famille qui s’empoisonne elle-même, menée par les principes délétères de la société dans laquelle elle évolue, où l’amour ne sauve pas mais tue aussi efficacement que la haine et la jalousie. C’est noir, sombre, désespérant. Sans antidote. Définitivement.
Un roman extraordinairement construit qui contraint le lecteur à changer constamment de regard , mais y en a-t-il un un qui soit conforme à la vérité dans la fiction, c’est-à-dire le mensonge…
Tous les détails sont signes, à la fois concordants et contradictoires. Brouillage impossible à éclaircir.
C’est fascinant et vertigineux.


Traduit de l’écossais par Maïca Sanconie, Quidam éditeur, 2006 et 2023 pour l’édition de poche.

1 réflexion sur “John Herdman, Imelda”

  1. Ping : 16 novembre / Une journée avec Quidam éditeur - Désirdelire

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