Ce n’est pas la première fois que Jean-Michel Espitallier écrit sur la guerre. Des textes forts.
Avec ce nouveau livre, il va encore plus loin ou plutôt aborde la question d’une autre manière.
Le sujet : il s’agit de » descriptions d’ exactions commises en temps de guerre et propos tenus par ceux qui les ont commises » dit la 4ème de couv’.
Des images de ce type, nous n’en manquons pas, mais justement elles sont si nombreuses, elles passent et se superposent les unes aux autres, épuisent ainsi leur violence, émoussent notre sensibilité et ne nous laissent pas aller au-delà de l’indignation, à vrai dire gratuite. L’écriture, elle, donne (ou plutôt ici impose) le temps de s’y arrêter, aucun détail n’échappe. De l’instantané de l’image à la durée de la lecture.
La citation d’Antonin Artaud, en ouverture du texte, parmi d’autres, éclaire bien l’intention de l’auteur :
« Il y a, dans ce qu’on appelle la poésie, des forces vives, et […] l’image d’un crime présentée, dans des conditions théâtrales requises, est pour l’esprit quelque chose d’infiniment plus redoutable que ce même crime, réalisé.[…] C’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. » (Antonin Artaud, Théâtre de la cruauté).
Alors oui, la lecture est quasiment insoutenable. Mais ces images et ces propos interrogent le lecteur : qui sont ces « tueurs » ? Des hommes encore ? On les condamne sans appel, bien sûr. Tous. Et sans réserves. Impossibles de les comprendre.
L’idée aussi qu’un lecteur puisse être fasciné par ces scènes et en tire une jouissance est elle-même insupportable.
Le degré de prise de conscience suivant malmène profondément notre certitude de n’avoir rien en commun avec eux. Comment accepter ce que dit James Waller, cité par l’auteur :
« Il est désormais inutile de s’enquérir de l’identité de ces hommes. Nous savons qui ils sont. Ils sont vous et moi. » (James Waller, Becoming Evil, cité dans Abram de Swaan, Diviser pour tuer) ?
Se rebeller contre cette idée, d’abord, et de toutes ses forces, puis laisser s’insinuer le doute. Et si…
Le livre de Jean-Michel Espitallier suscite une réflexion dont il faut bien dire qu’elle ne nous divertit pas de notre condition (au sens pascalien du terme). En ce sens ce livre est en même temps épreuve et nécessité.