Jean-Michel Espitallier, Cow-boy

Une nouvelle chronique sur le livre de Jean-Michel Espitallier. Michel Jubin n’a pas résisté à l’appel des grands espaces, fussent-ils ceux de la mémoire perdue mais réinventée par la grâce de l’écriture.

Inculte, 2020.

                        Cow-boy ou la fabrique authentique des souvenirs perdus…

                                   Histoire d’un exil aller-retour.

De son aïeul haut-alpin, Jean-Michel Espitallier ne sait rien ou presque de l’aventurier devenu. L’obstacle est de taille, on est taiseux de tradition dans ces familles paysannes, le dit a minima suffit. Pas d’archives ni billets de train à vapeur, ni tickets de paquebots en classe inférieure, ni visas, ni  paperasses de Long Island. Une certitude, l’ancêtre cow-boy pour de vrai est parti au Far-west, non pas dans les décors en carton-pâte de la MGM, mais là-bas dans le dur de la réalité. Puis, il est revenu au pays, fortune non faite, vivre une histoire d’amour avec Mathilde la grand-mère de l’auteur. Contrepoids de tendresse, comme une corde de rappel, retour à la normalité des noces, à l’usage vigilant des mœurs villageoises. La corde du lasso, elle, pourrit quelque part abandonnée dans la poussière d’un corral.  

Gageure : s’extraire des clichés des bobines héroïques des westerns tournés au kilomètre, extirper Eugène des écrans des cinémas Paradisio, lui faire lâcher l’étrier, poser pied à terre, lui redonner chair.

L’Amérique y est contée comme une immense et interminable comptine à l’échelle d’un espace infini. Écriture en temps réel, que scande la respiration d’une locomotive, une grosse Santa Fe 1010 2-6-2 fraîchement sortie des usines Baldwin de Philadelphie prenant sa pause parce qu’il faut bien faire de l’eau et du charbon. On devine, les pieds sur la banquette, ce voyageur français Espitallier qui ne dispose pas encore de la panoplie du cow-boy mais s’en accorde la liberté.

                                               Une biographie du peut-être…

Bande son, cadrage au travers de la fenêtre du compartiment de troisième classe, énonciation minutieuse des topographies des plaines, des gares fraîchement inaugurées. Voyage initiatique, lancinant, envoûtant, c’est l’anti-Guide Bleu. Une encyclopédie patiente des paysages vus du point de vue et par les yeux alors grands ouverts du postulant cow-boy.

Droit d’inventaire du vestiaire d’Eugène : un pantalon en flanelle gris, peut-être (neuf, avec pinces plis et revers). Quatre grands mouchoirs en batiste, peut-être (repassés et pliés en quatre). Peut-être une gourde en fer-blanc à bouchon de porcelaine (peut-être achetée chez Padro, le ferblantier mexicain de Sante Clemente). Oeuvre de costumier, ostinato sur cintres, chaussé de bottes de chez Tom McInernney, Abulene, Texas, il n’est plus question de linceul, mais d’une vie finalement rurale, sacrément active en salopette à armures de serge gris bleu rivetée aux poches !

Cow-Boy, roman tombeau, use du souvenir par défaut et là réside le tour de force de cette écriture jubilatoire et nostalgique. Il restitue une mémoire plus sûre, plus fidèle que celle que l’on serait tenté de prêter au défunt !

La musique y est présente par la grâce d’une écriture jazzique. Ainsi résonne in fine la mélopée des noms des tribus indiennes et il y faut quatre pages serrées. La litanie des crimes racistes à la cruauté sans bornes s’inscrit à charge dans un paysage rêvé d’espérance.

Il y a du Je me souviens de Georges Perec dans Cow-boy qui partage par procuration avec le lecteur des souvenirs individuels vraisemblables. Mais l’on pense plus encore aux tentatives d’épuisement d’un lieu du même Perec, hanté par les siens, jamais revenus des camps de la mort. Revivre par le pavé foulé de la place Saint-Sulpice, ici il s’agit du désert, des prairies, de vie au grand air,  à cheval ou comment refuser l’ensevelissement définitif dans l’oubli du géniteur de son géniteur…

Les quelques lignes consacrées à la mort du père aphasique, 75 ans après le décès d’Eugène, clôturent l’oeuvre. Je ne saurai jamais ce qu’il voulait me dire. Peut-être rien. Alors le plomb de la chape finit par couler sur le corps tout raide, tout froid, tout mort d’Eugène… Puis le même plomb coule sur le corps silencieux de mon père.

Dans les plaines du far-west quand vient la nuit… Eugène caracole encore entre les pages de Cow-Boy. Lecteur, réjouis-toi et console-toi…

                                                                                                                 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *