Christian Bobin : une évocation amicale

Bernard Clément vit au Creusot et côtoyait Christian Bobin depuis longtemps.
Il a pris la photo le jour de son décès : c’est la rue où se trouve la maison d’enfance du poète, un quartier où il continuait de passer quotidiennement pour se rendre dans un boutique où  » il venait faire saisir chaque jour ses manuscrits en fin de matinée ».
Rue déserte…


Lundi, avant la cérémonie à l’église Saint Charles
en face de sa maison d enfance, sous la pluie et les nuages…

Alors que pleuvent les nécros dont la vocation est d’évoquer avant tout celui qui la fait, quelques mots en rappel amical du plaisir d’avoir croisé Christian Bobin dès la fin des années 70 avant son coming out de si simple, si plein et si généreux poète…

« En tout homme il y deux hommes et le plus vrai c’ est l’autre » fait-on dire à Borges.

Chacun s’est façonné une image de Bobin : le feel good writer pour dames pour certains et  pour d ‘autres l’écrivain poète devenu bonheur de lectures, façonneur de petits trésors qu’on offre à celle ou celui qu’on aime, sujet de thèse à l’université de Téhéran pour alors voisiner entre un jardin des roses, un jardin de caresses et un cantique des oiseaux…  On peut même le soupçonner de n’avoir écrit que pour être traduit en persan et trouver là sa place.

De Bobin, hors de ses apparitions décalées et mesurées en émissions télévision,  garder de lui des images de taiseux amusé face aux agitations du temps, d’observateur de vanités qu’il ne juge pas, de naïf au regard doux et perçant, de ravi du Creusot (double peine) pour de beaux esprits assis dans leur monde bien à eux entre fauteuils et strapontins. À l’écart de ceux qui se veulent brillants, de rares joueurs de mots sont simplement lumineux et parviennent à vous faire entrevoir, c’est à dire voir entre, entre les mots, entre les grains de poussières entre silences et mal entendus.

Alors que les pages tournent à chaque demi-seconde et qu’un certain Marcel P. célébré en ce moment comme le plus grand écrivain du monde, n’avait que quelque lignes dans les anthologies il y a encore peu de temps, Christian Bobin semble avoir cultivé, loin des parterres vite démodés, un jardin d’herbes communes autrement plantées, de simples dont on ne fait pas que des tisanes mais aussi des alcools comme ceux qu’il aimait et savait partager.

Depuis quelques jours, pour l’évoquer vient à ceux qui le croisaient ici, une évidence ; celle de son rire éclatant rayonnant, généreux comme tout de lui, rire sonore parti d’un petit rien : un jeux de mot vaseux, croiser un ami sous le panneau « produits frais » du supermarché local ou l’interpellation  du facteur :  « Toi au moins tu es un vrai homme de lettres. » Ce rire envahissait chacun et disait  que pour lui vous étiez quelqu’un. Il ne vous prêtait pas attention, il vous en donnait.

En Bobin, le plus vrai, chacun se le tisse avec ce qui le trouble, avec parfois un agacement, une légèreté enveloppante, une douce agitation frénétique, un sourire si intérieurement  lumineux et débordant et cette envie, en regardant les nuages dont avant la cérémonie le gris est devenu si doux, cette envie de dire : transmettez, bon Dieu ! Faites passer.

(J’arrête là sinon je vais essayer de faire du Bobin et je vais l’entendre rire grave.)

Bernard Clément / le Creusot / Lundi 28 novembre 2023

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