Zinaïda Polimenova, Vertige de l’eau

Un livre dont il faut parler encore et encore ! Le texte de Zinaïda Polimenova accompagné des créations graphiques d’Armelle Sainte Marie fait partie de nos coups de coeur de cet automne. Éminemment singulier, poétique, nourri de légendes, qui parle de destin, d’incertain, de métamorphoses, à travers l’histoire de trois femmes. Vertigineux…

Igolène et Evelyne partagent leur enthousiasme et vous invitent à cette découverte (Les Editions du Chemin de fer)


Nous sommes en Union Soviétique. Le pouvoir communiste est à son apogée et avec lui le sport et la  culture de masse : le point névralgique du réci, si l’on peut dire, est le palais des sports : « Une immense inscription « Palais des sports » taillée en lettres dorées dans le vieux marbre écru indique au passant que l’endroit est quelque peu sacré,  en  tout cas inordinaire.« 

Trois femmes ont l’habitude de fréquenter quotidiennement la piscine. « Trois femmes, emmitouflées, grelotantes, entrent presque simultanément. Elles se  dirigent vers les  vestiaires. Ne se regardent pas. Les pas résonnent, deux, trois, je te vois, ne te vois pas. Elles se connaissent sans rien savoir les unes sur les autres. Toutes les semaines elles nagent aux mêmes horaires, tôt le matin. Plus rarement elles s’entrecroisent le soir aussi.« 

Ces trois femmes, Théa, 18 ans, Dora, 48 ans et Sia, 65 ans ont en commun de fréquenter la piscine, mais aussi d’habiter des logements tous les trois situés sur le trajet de la rivière souterraine qui traverse la ville.

Le récit prend la forme d’un journal qui se déroule sur une semaine, chaque journée faisant l’objet d’un chapitre. Le lundi présente les trois femmes, que l’on voit jusqu’au samedi évoluer chacune dans ses occupations quotidiennes. Parfois elles se croisent, jamais elles n’échangent.

Le mercredi offre la seule occasion partagée : Dora déjeune avec son amie médecin Ika, qui sera l’interlocutrice grâce à laquelle Théa pourra approcher sa grand-mère presque mourante, et qui sera également le médecin de service lorsque Dora, renversée par un véhicule dans la rue, arrivera à l’hôpital pour se faire soigner.

Á tout petits pas on pénètre un peu dans l’intime des trois femmes, jusqu’au dimanche où trois révélations viennent bouleverser les données de chacune. Le dernier lundi, arrive la conclusion…

Une fois le dénouement connu, la relecture (parce qu’on a envie de revenir sur ses pas et de plonger à nouveau pour écouter « le chant des sirènes ») fait apparaître comment, tout au long du récit arrivent chaque jour de tout petits indices qui peu à peu amènent à l’issue finale. Rien n’est dit par hasard, chaque mot compte, sans le moindre bavardage.

L’eau est omniprésente, comme une sorte de fil rouge de l’histoire. La mer, la piscine, la rivière, la neige, mais au-delà, tout ce que cet élément a de mouvant, de changeant, de secret, est l’image de la vie et du  destin des trois femmes.

Le texte et sa mise en page parfois rompent la continuité par des décalages grammaticaux et spatiaux, qui font un instant trembler le sens et semblent ouvrir d’autres chemins à l’imagination.

Les formes graphiques colorées d’Armelle de Sainte Marie, quant à elles, concourent,  au fil des pages, à la création d’un univers singulier, le temps de la lecture,  où l’on entre au premier chapitre intitulé  » La légende du silence » par cette première phrase : « Ça se passe toujours lors du solstice d’hiver, la nuit la plus profonde de l’année. » Mais quoi ? Une légende. Celle de l’oiseau qui devient poisson, puis femme. Puis disparaît. « Dans ces métamorphoses, la vie est une, deux, trois fois accidentée. »

Sans doute la phrase en exergue  de Pascal Quignard, tirée de La vie n’est pas une biographie, est-elle essentielle : si d’abord elle paraît un peu obscure, une fois la lecture achevée, elle éclaire le texte, sans pour autant lui ôter sa part d’incertain et de mystère  : « Plusieurs vies, aussi vivantes les unes que les autres, s’essaient en nous. »

Un texte éminemment singulier, poétique, nourri de légendes inscrites dans un quotidien qui à chaque instant est au bord du glissement vers un ailleurs intérieur, soupçonné, imaginé. C’est magnifique.

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