La lecture de Patricia

Un face à face artistique et philosophique sur fond du XVIIe siècle. Flamboyante, Amsterdam est la terre qui va accueillir durant un peu moins d’une quinzaine d’années, la rencontre, les échanges, le lien particulier qui unit Rembrandt, peintre néerlandais et Comenius, philosophe, pédagogue exilé d’origine tchèque. Comme à l’accoutumée, l’exil traverse les lignes de l’autrice, comme une force, un moteur. L’intégrité est également ce qui va articuler les conversations entre les deux personnalités, si différentes. Celle de l’artiste qui ne renonce à rien dans sa recherche artistique et son désir de laisser une trace de son génie et celle du philosophe, qui ne déroge en rien aux principes qu’il construit, invente, rédige patiemment et auxquels il croit intrinsèquement.

Le roman commence par la rencontre des deux personnages. Rembrandt, en fâcheuse posture, ruiné, accueille les huissiers qui viennent saisir ses biens. Dans la foule des curieux attroupés, un regard bleu le saisit, celui de Comenius. Ce regard qui ne cessera d’interroger le peintre. Convaincu de son talent, fier et orgueilleux, Sa quête ? Débusquer chez celui qui devient son modèle, ce quelque chose qui fait de lui quelqu’un de singulier. Bien plus que des traits ressemblants, il veut capter l’âme, l’humain en lui. Comenius, au tempérament humble, lui, n’a qu’une ambition, élever l’humain, dissocier le bien du mal, ériger un modèle éducatif qui permettra de forger les esprits et rendre la paix possible. Tous deux sont en quête de vérité et d’humanité.

À partir de cette rencontre, le lecteur est emporté et séduit par la richesse et la précision du contexte politique et historique. L’autrice, une fois de plus, excelle par son écriture, jeu de construction subtil qui amène à assister à ce face à face qu’elle a imaginé. D’un réalisme surprenant et avec une écriture fluide et maîtrisée, elle nous plonge dans l’univers de la peinture et de la pensée philosophique. À travers des conversations échelonnées sur quinze années, les deux personnages confrontent leurs visions du monde, de l’humain, de la vie, la vieillesse et la mort. Ils se lient, versent dans l’intime, échangent dans une temporalité si différente de la nôtre.

À l’heure où notre monde s’affole, où les échanges se font toujours dans l’urgence, le rythme que nous offre l’auteur apaise, remet le panache et l’exigence, au goût du jour. L’excellence dans les échanges, la qualité de la réflexion et l’intégrité traversent, nourrissent le roman. Une belle allégorie du clair-obscur que ces personnages : l’ombre et la lumière ici se parlent et se répondent. D’ailleurs, une question du peintre au philosophe va se profiler : Donner un titre au tableau et le signer ? Quel dénouement nous propose Lenka Hornakova ?

Patricia Bouchet

Alma EDITEUR, Janvier 2022


Lire aussi l‘article dans le Monde des Livres.


Née en 1971 en république Tchèque, Lenka Hornakova vit en France. Elle mène de front l’écriture et la peinture. Giboulées de soleil, son premier roman, a reçu le prix Renaudot des lycéens en 2016. Son deuxième roman, Une verrière sous le ciel, a reçu le prix littéraire Richelieu de la francophonie 2019. Elle a fait paraitre son troisième roman, La Symphonie du nouveau monde en 2019. (Source Alma éditeur)

Quelques mots de l’autrice sur l’exil :
« Je pense qu’il est fondamental et très européen. L’Europe est faite plus par les pas des déracinés et des exilés que par les « enracinés ». On passe notre temps à chercher ou à faire nos racines… un grand débat pour plus de temps… ».
Dans votre roman, la peinture se lie aux mots. C’est une belle métaphore me semble- t-il de votre démarche d’artiste, peintre et auteure. Comment s’harmonise en vous ces deux disciplines ? L’une vient-elle en complément de l’autre ? Ont-elles des places différentes ?
« La peinture et l’écriture sont deux manières de saisir le monde. Je suis peintre quand je peins et écrivain quand j’écris. Il n’y a pas de hiérarchie dans mon cas. Je peins ce que je n’arrive pas à dire, et écris ce que je peine à peindre. Le lien entre les deux : le geste. Le dessin comme l’écriture commencent par le trait de crayon sur le papier blanc ».

Photo : Isabelle de Rouville.

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