Jean-Michel Espitallier / Du rock, du punk, de la pop et du reste

La lecture d’Evelyne Sagnes.

Un texte éblouissant et émouvant, personnel et érudit, drôle et documenté, à l’écriture inventive, libérée des codes du genre.


D’un titre à l’autre, en rythme !

Du rock, du punk, de la pop et du reste : et si, l’air de rien, le dernier mot était bien plus important qu’on ne le croit  ? On a du même auteur : Syd Barrett, le rock et autres trucs. Et aussi, L’invention de la course à pied (et autres trucs). Le lecteur devrait y prêter attention. Ce ne peut être un hasard.  Bien sûr que c’est Toujours jamais pareil. Quand même.

Alors oui, je dirais volontiers : « le reste » est à l’origine du tout, explique le tout.

Le livre est d’une érudition éblouissante sur le rock, le punk, la pop. Aucun doute là-dessus. Le lecteur apprend, découvre et prend envie d’écouter… Jean-Michel Espitallier a tout lu, tout écouté. Des références, des listes, – qui peu à peu s’effacent – (on ne s’étonnera pas du procédé), des anecdotes, drôles ou dramatiques, des détails, des analyses, cela déborde même des pages – au sens propre : quelques-unes ont perdu leurs marges, les noms ont envahi l’espace. II y a aussi des chapitres où l’auteur s’interroge et porte un regard lucide sur le monde du spectacle, le phénomène des fans, la vie du rockeur. C’est enfin un livre d’histoire qui retrace la naissance et l’évolution de ces courants musicaux. Sur le fond, érudition et  réflexion. Tout cela est passionnant, mais cela suffit-il à expliquer le plaisir éprouvé à la lecture ? Il y a autre chose.

Question d’écriture, bien sûr. Espitallier est un mécanicien des mots (Salle des machines, un titre encore de sa bibliographie). Mais un mécanicien de génie. Son écriture  est toujours inventive. La langue offre des potentialités qu’il sait faire surgir. Il ne laisse jamais le lecteur s’installer dans une  musique, verbale s’entend. Tantôt ce sont juxtapositions, formules lapidaires, style télégraphique.  Faire sentir l’excitation, la tension du moment.  Comme ici :
« Quand soudain, lumière nuit. Smartphones lucioles. Noir tunnel grand volume. Géante obscurité partout. Voûte céleste et plafond haut. Jusqu’aux étoiles. Grondement-foules, cris, sifflements, applaudissements prévisionnels. L’attente vient de changer de nature. Elle s’électrise. Se tend comme un ressort. Temperature’srising. Fever is hight. Le show est sur le point de commencer. Tout a été réglé au millimètre, et même le retard est d’une précision d’horloger. Mise en scène au cordeau. Point extrême de tension. Acmé juvénile. »
Tantôt prendre le temps de l’exposé, de l’analyse, comme ici :
« Dans les années 1950, le puritanisme de la société britannique nécessitait avec plus d’urgence qu’ailleurs en Europe de faire sauter les blocages moraux, sociaux et culturels qui étouffaient la jeunesse née dix ou quinze ans plutôt. Là où la contre-culture française trouva dans l’existentialisme et l’hédonisme Saint-Germain-des Prés, le situationnisme, le communisme (bientôt le maoïsme) des outils de résistance et de subversion, les Anglais, plus rageurs, plus popus en somme, avaient l’intuition que le changement viendrait des guitares électriques ! »

Question de rythme ! – On n’en attendait pas moins du musicien qu’il est – : « Au commencement était le rythme. Le Verbe vient après, et d’ailleurs que les choses soient claires, sans le rythme, le Verbe… chique molle, truc ra-pla-pla ! ». écrit-il. Application directe dans ce livre. Aussi bien dans la composition que dans l’écriture.
Jean-Michel Espitallier joue aussi avec les mots, pour le plaisir, certes, mais aussi  parce que ces inventions provoquent le lecteur et l’obligent à voir autrement, parce qu’un rapprochement  inattendu fait sens. Dans le passage cité ci-dessus, un exemple très simple : le paragraphe se termine par « Acmé juvénile » : une lettre changée et en deux mots l’ambiance est définie.

« … et le reste » donc ? Ne serait-ce pas tout ce qui fait exister le livre ?  Car parler de ces musiques qui l’accompagnent depuis l’adolescence, c’est bien parler de soi. À vrai dire, l’auteur ne s’en cache pas : « C’est donc à partir de mon expérience personnelle que j’ai désiré bâtir ce livre. Si je suis le personnage principal de ma vie, le rock en est souvent le second rôle. Et le second rôle sait tout de moi. Une discothèque, c’est un autoportrait. »

Sans doute cette dimension du texte est-elle primordiale : un « je » y est toujours présent, avec ses émotions. Jean-Michel Espitallier en ouvrant sa discothèque si riche, se raconte lui-même indirectement et invite  le lecteur à entrer dans ce lieu intime.

Un texte éblouissant et émouvant, personnel et érudit, drôle et documenté, à l’écriture inventive, libérée des codes du genre.

1 réflexion sur “Jean-Michel Espitallier / Du rock, du punk, de la pop et du reste”

  1. Ping : 12 octobre 2024 / Une journée avec Bertrand Leclair et Jean-Michel Espitallier / Sigonce - Désirdelire

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