La note de lecture d’Igolène.
En fin d’article deux vidéos des entretiens d’Hédi Kaddour à France Culture (26’17) et à La Grande librairie (5’37).
Si cette Nuit des Orateurs est une formidable leçon d’Histoire, elle n’en est pas moins un vrai roman.
Le récit se passe à Rome à la fin premier siècle de notre ère, sous le règne de l’empereur Domitien que l’histoire accompagne d’une réputation accablante. Si dans la première partie de son règne il encouragea les lettres, créa des bibliothèques, institua un concours quinquennal de poésie, d’éloquence et de musique en même temps que les provinces jouissaient d’une paix profonde, il se laissa aller aux pires débauches qui valurent la haine du sénat pour ce tyran « qui tue comme il éternue » jusqu’à finir poignardé par l’un de ses affranchis.
C’est de cette atmosphère malsaine qu’Hedi Kaddour a fait la trame de cette Nuit des Orateurs : deux jeunes sénateurs avocats, Pline le Jeune et Publius Cornelius, que l’histoire connaît mieux sous le nom de Tacite, ont osé mettre Domitien en cause dans leur plaidoirie contre le gouverneur Massa, l’un de ses familiers. Le roman traverse la longue soirée et la longue nuit au cours de laquelle Domitien devrait, ou pas, riposter en ordonnant l’élimination des coupables de « crime de lèse-majesté ». Les 19 chapitres sont autant de séquences qui mettent en scène tous les protagonistes, dont Lucretia, la femme de Publius, amie d’enfance de l’empereur n’est ni la moindre, ni la plus à l’aise, ni la moins courageuse face à l’hypothèse de la mort. S’en dégage un tableau pitoyable de cet empire décadent :
« L’état des esprits, la variété des sentiments que l’on peut inventer à l’égard d’un tyran, de la peur haineuse à la haine craintive », en passant par toutes les facettes de la délation la plus abjecte. Un tableau dans lequel la mort devient inéluctable : « Nous allons mourir d’une mort laide, dit Lucretia à la fin de la nuit, celle qui nous attend depuis que nous avons laissé faire Domitien, ce criminel. Nous avons inventé une cause légitime à la tyrannie : faire tenir ensemble un monde qui va de l’Euphrate jusqu’au nord de la grande île de Bretagne, là où s’arrête le monde ».
Si cette Nuit des Orateurs est une formidable leçon d’histoire, elle n’en est pas moins un vrai roman dans lequel la cruauté et la vulgarité ambiantes n’occultent pas les belles personnes que sont Publius et Lucretia, les deux personnages majeurs. Le suspense ne faiblit jamais et le crescendo final apporte même la touche de tendresse sans laquelle la vie ne serait pas.
Au service de cette « fresque », une écriture un peu savante tant les phrases sont travaillées pour sonner en longues et brèves, comme la poésie latine , avec ces touches latines qui sont juste là pour rappeler que l’on est dans la Rome Antique, même si ce qui se passe a un goût d’éternité qui ramène le lecteur à aujourd’hui, maintenant et ici.
Un bonheur de lecture. Un livre dont on ne sort pas tout à fait comme on était entré.