Une lecture de Patricia Bouchet.
Des clés, un couloir, trois personnages. Pourquoi ce couloir fermé ? Qui détient ses clés ? Le couloir s’ouvrira-t-il à nouveau ?
Une correspondance ouvre le roman. Petra, emprisonnée pour athéisme, adresse à un détenu aperçu en promenade des lettres. À travers cet échange épistolaire, elle trouve une façon de résister, de continuer à exister. Enfermer les corps, c’est enfermer les pensées, alors elle écrit. Le lien, les mots, comme une survie. Elle y raconte qui elle est, qui elle était, ses espoirs. Elle y décrit le monde d’avant. Elle le connaît, elle l’a connu.
Surveillée par une jeune novice, Constance, à laquelle elle n’a guère le droit de s’adresser, elle entreprend, avec la magie des mots et du chant, de fissurer ce mur de silence, de fissurer sa pensée et peut-être, d’en faire une alliée.
Comme des bouteilles à la mer, Petra attend une réponse, des réponses à ses missives. Cet homme, que seule Constance connaît l’identité et l’histoire, répondra-t-il ?
Le lecteur découvre tantôt les lettres de Petra, tantôt les réflexions, les questionnements, les émotions de Constance. Petra parle, écrit, chante, séduit. Constance se trouble, résiste, doute, s’interroge. Le troisième personnage prendra-t-il la parole ?
Dans cette humanité qui penche dangereusement actuellement, Fanny Saintenoy nous donne à lire, à voir, un monde, pas si différent du nôtre, qui aurait basculé dans une unilatéralité de pensée, privé de tout, et dirigé par une foi unique.
Auparavant, les ouvrages de science-fiction projetaient, dessinaient un monde dans les 50/100 années à venir. Dans cette dystopie, la fin du compte à rebours est proche. Ici et là des éléments de notre vie actuelle. Comme le mythe de la caverne de Platon, ici tout est inversé. Ceux qui savent, connaissent le monde d’avant, sont enfermés ; ceux qui croient, reclus dans leur croyances, ignorants, sont libres et surveillent.
Les mots. Le pouvoir des mots est au cœur de ce roman. Les mots susurrés, chuchotés, s’infiltrent dans la pensée, amadouent, prennent place. Ils grignotent et attendrissent les parois du cœur. Le personnage de Constance est la pierre angulaire du roman. C’est par sa prise de conscience (page 96) que peut-être, le couloir s’ouvrira. La fin du roman reste ouverte.
« Avant je disais tout, mêmes les pensées honteuses, même ce qui pouvait me desservir. J’étais tellement naïve et disciplinée, convaincue. Maintenant, je mens, cela m’a torturée longtemps puis de moins en moins et c’est à Vous que je parle, mon Dieu, directement, je ne veux plus d’intermédiaire »
En exergue du roman, des dédicaces :« Pour Ahmet Altan et tous les autres, Pour nos enfants, si courageux de grandir dans un monde de fou », résument l’intention de l’auteure.
Fanny interroge le lecteur sur cette pensée unique et dangereuse qui rôderait, peut-être. Sur une religion unique qui cliverait, enfermerait. Sur la différence, source de richesse ou de conflit. Se soumettre ou se rebeller. Sur le pouvoir insidieux et incandescent des mots comme arme pacifique.
Au fil des pages, entre la parole de Petra et les pensées de Constance, l’auteure avance avec subtilités. Ce dialogue muet entre les deux femmes évolue, se transforme et aboutit. Fanny Saintenoy aime l’humain, ces précédents romans en sont chargés, ici encore elle en déplie l’intrinsèque et la possibilité d’assouplir les barrières de la pensée.
Fanny Saintenoy est née en 1971 et vit à Paris. Après avoir été professeur de français langue étrangère, et assistante au secrétariat particulier de Bertrand Delanoë, elle travaille aujourd’hui pour Paris Musées. Son premier roman Juste avant a connu un large succès critique et public, il a été sélectionné sur de nombreuses listes de prix littéraires et a été traduit en hébreu. En mars 2013, elle a participé au roman choral Qu4tre chez Fayard, avec trois autres romanciers de la rentrée 2011. Elle écrit aussi des poèmes notamment en lien avec d’autres artistes, danseuses et surtout photographes.
Elle est l’auteure de quatre autres romans :
Juste avant Flammarion – 2011
Qu4tre, Fayard – 2013 (avec S. Marner, C. Lunoir et AS Stefanini)
Les Notes de la mousson, Versilio – 2015
J’ai dû vous croiser dans Paris, Parole – 2019 – Prix SGDL du recueil de nouvelles 2020
Les clés du couloir, (éditions Arléa, 2023) est son cinquième roman.
Quelques questions à l’autriceFanny Saintenoy, Comment l’idée de ce roman vous est – elle venue ?
Ce roman est né, je crois, de la grosse colère et d’une forte angoisse quand j’ai vu les réactions folles d’une partie de la société après la loi du mariage pour tous. Ce même radicalisme religieux catholique moral a continué violemment autour du travail des illustrateurs et auteurs jeunesse suite à l’introduction de quelques notions simplistes sur le genre dans les écoles. Naïvement et parce que je vis dans un milieu ouvert, je ne pensais pas que de telles pensées circulaient encore et pouvaient vociférer sans complexe. C’est la première fois que j’écrivais pour, semble-t-il, répondre à une crainte, la faire passer dans l’écriture (je précise que ça ne marche pas très bien pour apaiser en fait).
Et, pourquoi avoir choisi la forme épistolaire pour raconter cette histoire ?
J’ai commencé à écrire par-là, les lettres, sans savoir qu’elles étaient mon entrainement d’écrivain. J’adore lire des romans épistolaires. Depuis le début je voulais en écrire un. La forme épistolaire était claire immédiatement pour ce livre mais je voulais l’écrire avec quelqu’un qui n’a pas voulu le faire. Alors, j’ai dû imaginer ce dispositif du correspondant qui ne répond pas et du personnage numéro 3 qui transmet et d’une certaine façon répond autrement et c’est ainsi que Constance est née. Aujourd’hui je remercie cet ami écrivain qui a refusé de faire le livre car finalement cette construction m’a beaucoup intéressée et quoi de plus romanesque que le correspondant qui reste muet ou ne reçoit pas les lettres. Pour repenser à cet effet romanesque autour du courrier « contrarié », il faut par exemple revoir le film Cinema paradiso … ou dans un processus complètement inversé relire La promesse de l’aube.