Une lecture de Margot Bonvallet
« flâneuse de pages entre les livres »,
libraire (librairie Les Vinzelles – Volvic)
L’apparence du vivant, c’est un premier roman, et un premier roman ô combien étonnant. Attention ! personnes à la sensibilité intense et fragiles, accrochez-vous !
On l’ouvre et on sent immédiatement qu’on va être… étonné, surpris, dérangé, séduit, fasciné, tant ce roman va nous surprendre.
Qu’est-ce que « L’apparence du vivant« ? Ce qu’on veut, ce qu’on croit, ce à quoi on veut faire croire grâce aux produits chimiques ? Ce qu’essaie de donner, en apparence, la taxidermie à un cadavre ? La vie, « le vivant, » est-ce une façon d’éterniser les corps ? Et la taxidermie est loin de passionner justement tous ceux qui aiment observer la vie.
Une jeune photographe fascinée par la mort et en rupture avec sa famille et la société est engagée pour prendre soin d’un couple de vieillards, les Martin, propriétaires d’un ancien funérarium.
Une maison figée par le temps, dans un quartier fantôme de Liège, soustraite aux regards par de hauts tilleuls. Captivée par ce décor, la jeune photographe s’installe dans la demeure de ces riches retraités qui vivent reclus dans cet ancien funérarium, dans lequel on trouve une collection d’animaux naturalisés, fruit d’un travail de toute une vie. Elle tient à enseigner son savoir-faire à sa protégée. La jeune femme apprend donc, patiemment, minutieusement, l’art de la taxidermie, mais sur toutes sortes de cobayes.
Pour la narratrice, la famille est un problème… Et si elle est fascinée par la mort, c’est qu’elle a passé sa vie entourée de morts auxquelles elle a, malgré elle, assisté. Les scènes macabres semblent toujours entourées d’un rire satanique doux et feutré, et l’ironie de la narration est faite de velours et de papier de verre, à la fois.
Entre elle et madame Martin naît une complicité tendre, sous l’observation immobile, muette et cireuse de monsieur Martin. Lors de leurs promenades au bord du canal, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Ce serait bien mal les observer et les écouter et les regarder vivre entre elles.
La jeune photographe a toujours été fascinée par la mort et s’est spécialisée dans la photographie de personnes âgées posant nues devant elle. Mme Martin a une conception très particulière de la mort et ne souhaite pas quitter ce monde sans jouir de ses derniers instants, serait-ce au prix de quelques caprices.
Une relation qui ressemble à celle d’une mère avec sa fille, où le jeu et la confiance savent être en osmose et sans aucune retenue, mais aussi à celle d’un élève avec son professeur : « Je suis une élève douée. »
Et elle réussira à faire mettre la main à la pâte à son invitée et à lui faire découvrir ses techniques de taxidermie : il y a le scalpel, l’écharneuse, l’insuline, le borax, l’acide sulfurique, le detof, des pinces, des bassines, des ciseaux, des pinceaux, et du polyuréthane pour le moulage, de la terre glaise, des ficelles, de quoi coudre de quoi nettoyer…
Certains passages sonnent comme des modes d’emplois, des recettes, des méthodologies, au croisement de celles d’un médecin légiste, d’un sculpteur, d’une maquilleuse et d’une couturière, pour (re)donner un semblant de vie à des êtres défunts.
Même s’il pourrait sembler un peu lugubre, le scénario tient parfaitement la route et on est emporté par la danse menée par Charlotte Bourlard dans ces pages, une danse macabre non dénuée d’humour noir !
« A Noël, les funérariums sont remplis de suicidés et de cancéreux qui ont mis longtemps à mourir. Pendant 45 ans, monsieur et madame Martin n’ont jamais pris un jour de congé. Ils ont aimé prendre soin de morts. Ça leur évitait de devoir partir en vacances »
Des personnages tournent donc en ronde autour de madame Martin et la jeune fille qu’elle semble avoir adoptée. Sont ils vivants, vont-ils le rester ?
Un roman qui sonne comme un hommage aussi à d’infinies lectures, de Daphné Du Maurier à Gabrielle Wittkop en passant par Ann Radcliffe…
Un livre de recettes embaumement, de crémation, de taxidermie, jusqu’à la dernière recette qui sonnera comme un bouquet final, un premier roman radical, d’où émerge, à travers la noirceur et la cruauté, beauté et douceur, malgré tout, douceur de la complicité filiale.
Un roman qui sonne comme un hommage aussi à d’infinies lectures, de Daphné Du Maurier à Gabrielle Wittkop en passant par Ann Radcliffe…
Et les scènes sont belles, décrites avec détails exacts et gestuelle précise, les couleurs sombres veloutées, entre anthracite, vers de gris et pourpre, les cendres sont partout, la poussière est la beauté.
L’apparence du vivant regorge d’images, de fixations visuelles de scènes uniques et photographiques décrites avec minutie, comme si la photo était composée puis développée sous nos yeux.
Les lieux sont décrits avec tant de détails qu’on dirait des carte postales un peu désuètes. On se promène dans un Liège lui aussi immortalisé : Le zéphyr, La bouée, le canal Albert, le Pont Saint Léonard, Le Faraday…
Et pour couronner le tout, des morceaux de musique classique jalonnent ce roman, comme une parfaite bande originale : des concertos strasbourgeois de Bach, le concerto « Jeune homme » de Mozart, le troisième concerto pour piano de Rachmanikov, la première symphonie de Brückner, La Traviata… Écouter ces morceaux en lisant viendrait parachever la perfection de la lectures en cours !