Parution le 24 août, Les Avrils.
Lu par Evelyne Sagnes.
Un titre intrigant ? Oui, mais qui évoque bien l’histoire de Victor, un jeune sportif, qui veut devenir champion de triple saut. Il révèle aussi le talent d’Arnaud Dudek pour les formulations à la fois justes et surprenantes. Je laisse le lecteur découvrir l’explication : elle est page 168 !
Le roman se divise en quatre parties : Course d’élan, Premier saut, Deuxième saut, Troisième saut, Suspension et se termine par un chapitre détaché, Réception.
Sans aucun doute, une part de la réussite de ce livre tient à la manière dont Arnaud Dudek fait de la spécialité sportive de Victor une métaphore de sa vie, donnant ainsi une cohérence et une dynamique fortes au récit.
Un exemple, ces quelques lignes qui associent mise en page, mimétisme du mouvement et sens de la vie :
« Premier saut.
Deuxième saut.
Troisième saut.
Suspension.
Et puis »
Ces mots sont à la fin d’un chapitre, sans le clore pourtant, il reste ouvert sur le blanc de la page, sur l’incertitude de l’aboutissement. Un peu plus loin, l’auteur reprend exactement les mêmes mots, mais la dernière ligne est différente et un point la termine :
« Et puis réception. »
Le roman est un regard documenté porté sur le monde du sport de haut niveau, ses exigences incommensurables. « Être un sportif de haut niveau, c’est flirter en permanence avec les extrêmes. Et ce flirt permanent est dangereux. » Le maître mot, en réalité c’est l’équilibre : sans lui, c’est de l’auto-sabotage. Le corps et le cœur arrière risquent leur vie.
L’auteur parle de ce monde à travers un personnage, dont il décrit « de l’intérieur » les affres, les rêves, les désirs et les frustrations, de manière concrète, à travers des situations et des scènes de sa vie. Alors pourquoi Victor met-il tous ses efforts pour devenir un champion ? Pourquoi se met-il en danger ? Pour échapper à une vie triste et cabossée ? Entre autres. Et si c’était se perdre ? C’est ce qui rend le roman émouvant : Victor est bien là pour le lecteur, qui n’a pas envie de fermer le roman avant la dernière page.
Quelques mots à propos de l’écriture : vive, rythmée, à la fois familière et travaillée, fantaisiste aussi, traversée d’images, parfois flux ininterrompu, parfois sèche et sans apprêts. Arnaud Dudek use aussi souvent de la juxtaposition : elle suscite des rapprochements, des chocs, des frictions, qui font sens et donnent une saveur particulière au texte.
C’est un roman que l’on pourrait qualifier d’initiatique : Victor (s’)apprend. Si son prénom est prémonitoire, ce n’est pas qu’il annonce des exploits sportifs. . Pourtant, n’est-il pas victorieux ? Et ce texte ne parlerait-il pas, au-delà du sport, de tout parcours de vie mené à la recherche d’un dépassement, voire d’un surpassement de soi, avec ses risques et ses réussites ?
Un extrait
« Victor ignore par quels états, par quels tourments il va passer. Il est jeune, doué, déterminé mais relativement naïf, il pense que sa bonne étoile ne peut pas pâlir, mais voilà, elle est tellement complexe, la vie, tout à la fois plume d’oiseau et instrument de torture, couette en duvet d’oie et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc et feu de forêt criminel, abécédaire poétique et discours négationniste, confiture fraise-litchi et page Wikipedia recensant les personnes mortes d’un cancer du pancréas, lumière ambrée, ténèbres bancales, dunes blanches et foyers d’accueil médicalisés, il faut la prendre avec soi, toute cette complexité, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable, se dire qu’un jour les portes automatiques s’ouvrent en grand sur votre passage mais que le lendemain, elles peuvent demeurer closes – et pour peu qu’un homme de m’nage ait fait du zèle, qu’il ait rendu cette porte absolument transparente, on peut s’y écraser, oui, se la prendre en pleine figure. » (page 120)