Margot Bonvallet ,
« flâneuse de pages entre les livres »,
libraire (librairie Les Vinzelles – Volvic)
Parmi les arbres, d’Alexis Jenni : un texte « Mondes sauvages », chez Actes Sud,
une science baladeuse, légère, poétique et philosophique.
Un livre qui fait tomber les distances, les savoirs et qui relie les genres, qui nous relie aux arbres, nous, les arboricoles…
Nous lisons ce livre pour retrouver les liens entre le vivant, le végétal, l’animal, l’arborescent et l’arboricole, le poétique et le botanique, la lecture et la marche, la littérature et le scientifique.
Ancien professeur agrégé de biologie, pendant une vingtaine d’années, il est devenu écrivain, penseur contemplateur, et aime mélanger les genres, les narrations, les rapports, au temps et au réel, le savoir, le dire et l’écrire. Écrire est son métier. Il a plongé corps , âme, tronc et branches dans l’écrire, et il s’intéresse à toute ce qui est vivant, contemplatif, apaisé et apaisant, profond et agréable, bref, il s’intéresse au monde, au réel et il y intéresse les lecteurs.
Dans ce livre, Alexis Jenni a recourt à une narration cheminante, marcheuse et analyse sa passion pour les arbres, pour lesquels il a toujours eu des sentiments profonds, communicatifs. Il manie les mots, les lectures, les sciences, il va chercher toutes les anecdotes et tous les savoirs pour nous en parler.
Et c’est bien sûr l’auteur qui en parle le mieux.
« J’ai aimé la littérature, j’ai aimé les sciences, j’ai aimé les arbres, mais pendant des années, je n’ai pas su allier les trois, chacun de ces amours allait son chemin, sans qu’ils ne parviennent à se croiser. Et puis un été dans les Pyrénées, marchant dans la forêt, c’est venu. J’ai eu envie de parler des arbres, parler à la fois de ce qu’ils sont et de comment nous vivons avec eux. J’ai commencé à écrire sur mon téléphone, en marchant, les gens que je croisais sur le sentier devaient me voir en citadin incapable de regarder autour de lui, alors que j’avais enfin trouvé la façon de raconter ce qui était là. »
Les arbres, savons-nous qui ils sont ?
Ils sont encore presque partout, profitons-en, même si nous tendons à les oublier : nous les côtoyons sans pour autant savoir toujours les voir vraiment.
Ils savent être nos alliés, nos abris, nos outils. Ils ont su nous faire découvrir le feu, puis le papier et l’écriture. Ils sont nos lits, nos chaises, nos tables, ils nous nourrissent de leurs fruits, ils nous protègent du soleil, de la pluie, de l’hiver, de l’été, de la nuit, des ennemis, ils nous soignent, ils nous arment.
Ils échappent au temps : un jour pour nous est une seconde pour eux. Ils sont un poumon. Ils vivent en sociétés, ils communiquent, oui, ils ont des phéromones, eux aussi et certains d’entre nous savent encore le percevoir.
Les connaissons-nous suffisamment, faisons-nous suffisamment attention à eux ?
Qu’est-ce qui nourrit l’arbre ? Le sol, l’air, l’eau, la lumière, les particules aériennes ou souterraines, la présence des autres arbres, les hommes qui lui parlent, les animaux qui y vivent ? L’arbre est un chant, un bruissement, une cours d’eau, de liquide, de sève, une protection, une maison, un abri, une béquille, un moyen de transport ?
Les arbres sont-ils creux, pleins, reposants, ressourçants, pleins d’ombre et de lumière, double sèves, tronc vide ou plein ?
Sont ils mâles ou femelles ? Monoïques, ou dioïques, quelle est leur symbiose préférée ? Leur microbiote, leur relation entre eux et avec les alentours ? Sont-ils communicants, ouverts, creux, timides, aiment-ils les frottements, les caresses ? Les interactions lui sont-elles simples, complexes, productives ou menaçantes ? Peut-on rire de tout, même avec les arbres ?
« S’approche-t-on mieux d’un arbre quand on y pénètre ? Nous autres animaux avons un dedans et un dehors, nous vivons dans des maisons qui ont un dedans et un dehors, nous confions nous richesses et nos secrets à des boîtes fermées qui ont un dedans et un dehors, alors, pour nous, pénétrer c’est s’approcher un peu plus près du cœur des choses, et même l‘intimité érotique obéit à l’idée que le dedans est plus proche de l’être que le dehors. »
Les racines des arbres ont-elles une incidence sur leurs relations entre eux ?
« La racine est sans doute une forme de pensée, mais en aucun cas elle n’est l’origine de l’arbre. La racine est ce sur quoi on trébuche, disais-je. La métaphore de la racine appliquée à l’homme est un caillou dans la chaussure, tout à la fois symboliquement parlante et botaniquement fausse, on y revient toujours, on s’en agace aussitôt, on la rejette, on y revient sans le souhaiter, On le sent, dit-on, que l’on a des racines ; comme si on le pouvait. »
Tant de questions trouvent leurs réponses dans des livres à part, livres flâneurs, livres cabanes
L’arbre est notre histoire. Nous avons une relation intime et intense avec les arbres, mais si intime qu’elle fait part de nous et que nous oublions d’y faire constamment attention. Les arbres font pourtant partie depuis toujours de notre vie, de son décor, de son énergie. Les arbres sont source de chauffage, matière première, armes, supports, meubles, les arbres sont des lieux de passation de parole, vénérés, taillés pour fournir matériau et bois de chauffage, plantés pour embellir nos lieux d’habitation, changés en œuvres d’art, ils imprègnent notre imaginaire comme notre quotidien. Nous pouvons avoir des forêts intérieures à entretenir, à explorer, des clairières morales, des canopées de désir ou d’esprit.
Brassens le disait lui même, l’arbre est un lien à ne pas briser. « Auprès de mon arbre je vivais heureux / J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre / Auprès de mon arbre je vivais heureux / J’aurais jamais dû le quitter des yeux »
« Plongé, immergé, confiant par nature, l’arbre se déploie ; il est mêlé, emmêlé, fractalisé pour se mêler encore plus à la luminosité et à l’humidité. Il baigne dans l’air et dans l’eau, tout en lui est contact. Il est une surface, une surface repliée comme un origami qui finit par occuper un volume, il est surface d’échange, une surface en croissance continue. Il est d’une grande sensibilité à son environnement, réagit à tout ce qui lui arrive, tout le marque. »
Un livre à emmener dans sa cabane, sur un chemin dans une clairière, dans la forêt, dans une terrasse ou dans son sac ? Partout.
Une lecture poétique et sylvestre dont la sève semble être à la fois littéraire, scientifique, biologique et artistique, aux références multiples et protéiformes, un objet d’affection, d’admiration et d’énergie intérieure. L’arbre et les siens, l’arbre et les humains, l’humain et l’arbre, les arbres et nous.
On chemine pendant que l’auteur décline les voyages, les phrases, les rencontres et les savoirs, on croise des baobabs, des chênes, des hêtres, des séquoias, des arbres forts, des arbres droits, inclinés, en bosquets, solitaires… On croise des arbres dans le désert, dans ds plaines, sur des plages, dans des forêts, sous les tropiques, au cœur de continents, au cœur des villes, des champs, des forets, denses, vastes, de la à Sylve à Gastes …
On est accompagné, pour cheminer, de romans, de poèmes, de tableaux, des films, des musiques, de l’actualité et dans la tête de l’auteur. Il nous promène de passion en passion, il mélange les intérêts et les savoirs, il enchaîne, il symbiose.
Da Vinci, Giuseppe Penone, Fritz Lang, Stanistas Lem, Chrétien de Troyes, Pierre-Paul Grassé, et tant d’autres…. On erre aussi parmi et entre Thoreau, Richard Powers, John Muirdans ce livre comme une flânerie multinaturelle et interculturelle, une lecture-cabane dans un arbre-monde…
« Je suis fasciné par l’œuvre de Penone qui ne s’occupe que d’arbres pour ne parler que d’hommes, qui crée des miroirs de bois où nous pouvons nous mirer tels que nous sommes, nus au plus profond. »
John Muir avait déjà inspiré Alexis Jenni : « J’aurais pu devenir millionnaire, j’ai choisi d’être vagabond » est un livre sur cet amoureux de la nature, grand marcheur qui avait choisi de sillonner monde à pied et été le premier à sentir les dangers de la surexploitation de la nature.
L’arbre est énergie et inspiration, comme une chêne sans fin de bien hêtre ?
Un miroir, une source de joie, nous parler des arbres c’est aussi nous parler de nous, dans les ressemblances comme dans les différences, et confronter, comparer, interagir pour savoir est un basculement bien poétique et réel.
On a la sensation de prendre à la fois un cours de biologie, une lecture de poésie et un bain de forêt, une sylvothérapie en tous sens, de tout genre.
« Le darwinisme est statistique, c’est à dire que ce qui importe ce n’est pas de survivre ou pas, mais de survivre suffisamment, et l’arbre est bien adapté à ce genre de stratégie car il peut perdre une part de lui-même sans tomber. »
« La vie est symbiotique, aucun être vivant ne vit seul, ni seul de son espèce, ni dans les autres espèces, la biosphère constitue un vaste système intégré de peut-être mille milliards de tonnes, dont nous sommes une part qui se croit indépendante, illusion crée de toutes pièces par la puissance de notre esprit, qui s’y connaît en dénis, en écrans et en belles histoires. »
On se sent, en lisant, doucement irrigué, l’attraction redevient palpable, les arbres et nous, nous nous fréquentons, proches ou à distance, ils sont là et nous sommes là, l’un pour l’autre, le besoin est mutuel, scientifique et sensoriel !
On observe s’allier aux passions de l’auteur, à ses amours, la science et la littérature. Résultat : un texte à la science flâneuse et en chemin, souple et fluide comme une sève, poétique, sensorielle et philosophique.
Avec un fil rouge : explorer notre relation aux arbres, se mettre à hauteur d’arbre et laisser aller nos envies, notre amour, pour se rappeler qu’ils sont nos alliés, pour en parler en favorisant le vivant, la poésie, les anecdotes, la symbiose, et pour ne jamais oublier qu’on ne descend pas seulement du singe mais aussi des arbres, que jouer avec les mots est comprendre et que comprendre les arbres et leur relation avec nous peut être une bien belle genèse arboricole et collective à recréer.
« J’ai tant de bonheur à voir un arbre en ville que j’aime à croire que nous sommes plus arboricoles qu’urbains. Rien là de rationnel, ce dont je parle c’est seulement l’émerveillement : la présence d’un arbre me comble à tel point qu’il faut bien qu’une plantule ait pris racine depuis des millions d’années dans mes viscères pour m’expliquer à moi-même pourquoi mon sang se convertit si facilement en sève. »
Puis, on se dit qu’il est peut-être temps de vite fermer ce livre pour aller marcher, retrouver un arbre, l’embrasser, le sentir et le laisser nous parler,
« Alors, la vie ?
– Ensemble, tous ensemble. »
« Parmi les arbres », essai de vie commune, Alexis Jenni, Éditions Actes Sud, collection « Mondes sauvages », pour une nouvelle alliance