Igolène a lu en avant-première le nouveau roman de Sylvain Prudhomme.
C’est l’histoire du trouble profond d’une famille « bien », qui sait que quelque part sur les bords du lac de Constance vit un homme né d’un moment d’amour entre le père et une jeune femme allemande d’une beauté irrésistible. Tout était enveloppé dans le silence, mais lorsque le père, Luciano Malusci, meurt, des choses se disent et rien ne pourra plus rester comme avant.
C’est à Simon, l’un des petits-fils de Malusci, que le secret est dévoilé le jour de ses obsèques par l’un de ses gendres. M (c’est par cette seule lettre qu’est désigné le fils illégitime) entre alors dans la vie de Simon, dont il ne sortira plus, et cette rencontre va conduire chacun des membres de la famille Malusci à se révéler.
Le récit de Simon est en même temps celui de sa propre vie, magistralement bousculée par sa séparation d’avec A, sa compagne, la mère de ses enfants. Une séparation sans violence, simple et douloureuse, parce que la tendresse ne s’efface pas. Le récit de Simon devient une sorte de quête face à ces deux absents que sont M et A.
Le texte met en scène tous les Malusci, les uns après les autres, au fil de ces jours qui suivent la disparition de Luciano et renforcent le sens de la famille autour d’Imma l’aïeule désormais seule et entourée par une affection sincère de tous.
La fiction se déroule avec ses moments de suspense et ses coups de théâtre. Mais le plus important est l’histoire de chaque femme et de chaque homme de cette famille, pour qui la présence de M là-bas au bord du lac de Constance oblige à une reprise de soi essentielle. Et c’est là la grandeur du livre qui, sans jamais émettre de jugement ni donner de leçon, semble dire au lecteur : deviens toi-même. Une invite portée par Simon, avec une certaine douceur que lui donne Sylvain Prudhomme en faisant de lui un écrivain. Comme une façon de dire : je suis avec toi. Impression renforcée par l’ancrage de cette histoire dans l’univers littéraire de Sylvain Prudhomme : Car Luciano Malusci n’est autre que ce grand fermier de la région d’Oran, du roman « Là avait dit Bahi », qui avait confié un jour à Bahi, le fils du forgeron « Ah ! l’Allemande du lac de Constance, Bahi, si tu avais pu la voir, si tu avais pu la connaître, voir le miracle que c’était de la regarder marcher, simplement de marcher ». Et Simon, celui d’aujourd’hui, lorsqu’il était allé visiter Bahi devenu un vieil homme, avait reçu de lui le récit de cet aveu : « Ah ! la fameuse Allemande du lac de Constance, si tu avais vu comme ton grand-père en parlais, Simon, je te jure ».
Une très belle histoire, donnée par une écriture puissante avec ses longues phrases à l’architecture ciselée. Une histoire qui fait grandir le lecteur et qui construit une œuvre.
4ème de couv’
Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s’embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s’aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s’aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d’un désir éphémère, l’éclair d’un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.