Margot Bonvallet « flâneuse de pages entre les livres »,
libraire (librairie Les Vinzelles – Volvic)
Cette rentrée littéraire 2021 a été une bien belle suite de surprises littéraires, vraiment. Et l’Auvergne a elle aussi eu sa part de beauté à lire et à offrir !
Parmi elles, La langue du pic vert, un roman aussi étrange qu’éclairant, marquant, comme les trous faits par le bec de l’oiseau…
Car taper contre un tronc d’arbre permet au pic vert de communiquer avec ses congénères et de creuser des trous dans le bois afin d’y pondre ses œufs. Et ce livre nous fait nous sentir solidaires des oiseaux, de Sylvain, le héros, du monde qui l’entoure et ce livre de 280 pages écrites par Chantal Dupuy-Dunier aux Éditions La Déviation est un bien bel œuf qui ne demandait qu’à éclore.
Éclore, tout comme Sylvain qui, en visitant une Maison de la Ligue pour la Protection des Oiseaux entendit ces mots prononcés par le guide : « Le pic vert enroule sa langue autour de son cerveau pour le protéger contre les trépidations quand il fore les arbres. »
Cette phrase, prononcée par le guide, est une révélation pour Sylvain Breuil, le point de départ d’une quête de l’invulnérabilité, puis de l’immortalité.
Et Sylvain le découvre par hasard, et de là naît un intérêt étonnant et captivant pour l’univers des picidés, un intérêt illimité, obsessionnel qui continuera à prendre et donner forme à sa vie fébrile, préoccupée, pleine de chocs…
Cette passion vient combler le néant et l’absence de sa mère morte en couches, elle le distrait en outre des soucis que lui cause son père, de plus en plus sujet à des trous de mémoire, des amnésies en pointillés et à de curieux comportements jusqu’à qu’il ne soit plus possible de partager le même appartement.
Une étrange passion pour un étrange oiseau
Une étude du nom du protagoniste pourrait être une explication simple mais jolie pour cette passion. Car Sylvain est lié, comme le pic vert, aux arbres… Quand il vit le pic vert il se demanda s’il vint du bois ?
S’appeler Sylvain Breuil n’est pas sans risque. La double étymologie sylvestre – en vieux français breuil signifie bois – recèle bien des dangers. On passe facilement de forêt à foré.
Quel plaisir de s’intéresser de si près à cet étrange oiseau, ces pics épeiches, à sa boîte crânienne insolite, à sa capacité à la fois unique et naturelle à se prémunir des chocs répétés, ceux du crâne, lui aussi, lorsqu’il frappe le tronc d’un arbre pour forer un trou et se nourrir.
Le pic vert vit à la verticale et recommence infatigablement son éternelle besogne : forer avec son bec, tel un Sisyphe-oiseau. Il sait pourtant protéger son cerveau, lui, avec sa langue.
Sylvain, fasciné, comme dans état second d’épiphanie, va creuser lui aussi son envie de savoir, de comprendre pour fuir le réel et va pourchasser cet oiseau énigmatique. Ce faisant, il se crée un espace personnel, vital, un monde parallèle, dans lequel « le soleil a un ventre rond, une coiffe rouge et le ciel est d’un vert presque phosphorescent ».
Sylvain vient d’acquérir le privilège de commencer la recherche de la cache secrète qui lui assurera une protection absolue et éternelle. Il hérite de la mémoire des pics. Le droit lui est donné de franchir une étape initiatique.
Et dans cet espace créé pour résister et survivre, l’oiseau prend forme humaine « avec son béret rouge et ses bacchantes noires ».
Kiakiakiak = mais qui est Sylvain ?
La vie de Sylvain a été parsemée de chocs auquel le pic vert et ses chocs le renvoient.
Sa mère, Martine, est morte en le mettant au monde, et son père, Julien, est atteint d’Alzheimer à 46 ans : il commence à avoir les idées brouillées, il confond les êtres, les choses et les jours, il oublie les endroits où il range ses objets ou sa voiture, il part au travail alors qu’il n’y est pas attendu, en d’autres mots, c’est la déchéance, et vivre dans le même lieu que ce père est encore un choc à supporter pour le fils…
À deux, ils vont sur la tombe de Martine, même si le fils ne connaît quasiment pas ce lieu ni le chemin qui y mène. Pareil à un automate, pourtant, il le trouvera et s’assiéra sur le bord du caveau et, comme un mantra, répéter «Il ne faut pas renverser la bruyère !»
Autour de Sylvain naviguent et virevoltent d’intéressants et intenses personnages… Nous découvrons sa vie, ses rencontres, Stanislav un étudiant arménien de Turquie qui lui offre un boulier, sa famille Tante Irène et Oncle Roger et leurs filles jumelles.
Mais il n’est pas fou, Sylvain, et il tient à tout savoir sur ce Pic vert qui semble savoir lui parler, du moins le désirer. Et pour savoir, il va à la bibliothèque, il écrit quelques poèmes, ou encore manipule un boulier chinois.
Et parallèlement à tout ça, le jeune homme recherche un emploi, son père étant placé au « Cloître », une institution adaptée à sa maladie. Sylvain, alors, devient agent de service dans l’hôpital où, justement, Julien a travaillé.
Il se met à lire des ouvrages consacrés au Râja-yoga, ensuite, comme une suite parfaitement tracée par le Destin, il désire ardemment se promener dans les bois « afin de rencontrer son oiseau totem ».
Ce livre, parmi tout ce qu’il est, est donc aussi celui qui raconte la vie de Sylvain, ses méandres, ses anneaux, ses chocs et sons sens, il s’apparente à une quête initiatique qui, vers la fin, fait même, chose rarissime, rire Sylvain aux éclats, « un rire qui ressemble à celui du pic vert ».
Avec Sylvain, on ira du Sud de la France jusqu’à Cronce, en Auvergne, là où la nature lui offre des escapades contemplatives toujours plus longues.
La virtuosité du langage du pic vert
Les mots sont maniés avec talent, magie et poésie, les images, sont riches et nous amènent à voir tout ce qui est raconté, en détails poétiques et inattendus voire inespérés, l’histoire est très émouvante, les émotions sont réelles et nuancées, les personnages sont attachants…
Et lire ce livre amène à chercher la réponse qu’on cherche toutes, tous, même quand on ne le sait pas encore : comment faire face à l’angoisse de la mort ?
L’auteure a un style unique et très poétique, en la lisant, on est proche de la légende des bois, de la fantasmagorie pour décrire un comportement quasi autiste et créer le langage crypté dont Sylvain a besoin.
Mystérieux et original, son premier roman est dédié à tous ceux dont le rêve est appelé folie. La langue du pic vert n’est pas sans rappeler le terrifiant Zombi de Joyce Carol Oates.
On pense aussi au film Birdy, d’Alan Parker, tiré d’un roman de William Wharton où ce rêve se confond avec le réel, la folie. Car quand on aime les oiseaux, on aime les comprendre, les écouter, les observer et parfois même, on aimerait en devenir un, voire on croit qu’on en est un. Et pouvoir voler comme un oiseau a toujours été présent dans l’esprit de l’homme comme pouvoir comprendre et communiquer avec les animaux.
Lisons et envolons-nous ?
La recherche de l’envol est une constante chez les humains, les inventeurs, les historiens, les biologistes, les ingénieux, les ingénieurs, les artistes et les trapézistes, les parachutistes et les sauteurs, les scénaristes, les écrivains et les poètes, et chez Chantal Dupuy-Dunier, donc.
La plume de l’autrice est comme un bec effilé, elle est comme un pic vert traverse le salon, entre dans notre vie et nos têtes et achèvera quelque part, là où les mots nous mèneront, peut être suivis par d’autres pics verts, les oiseaux s’envolent entre eux et se partagent le monde.
Des pics verts volent dans ce roman et aucun ne se fracasse contre un mur ou un arbre. Chacun fait son trou, ici, dans le papier peint, puis chacun disparaît près de la forêt au point de croix pour réapparaître de l’autre côté du salon, un défilé se joue devant nous.
On a l’impression de lire un spectacle de lanterne magique. Et de vivre la même chose que Sylvain, entre ses murs, de pouvoir admirer l’agilité des oiseaux à transpercer le mur sans provoquer la moindre dégradation.
Écoute, toi deux fois sylvestre, écoute le geste initiatique de notre martèlement. Notre cerveau est invulnérable. Écoute et vois ce qu’aucun humain n’a jamais perçu. Écoute et vois ce qui a fait défaut à ta mère et à ton père. Eux sont du côté de l’arbre. Nous sommes du côté du bec.
Un livre étonnant, emportant, poétique, délicieux !
La langue du pic vert, 24 août 2021, Editeur La Déviation, 284 pages, ISBN 979-10-96373-37-6
La poétesse Chantal Dupuy-Dunier est l’auteure d’une trentaine d’ouvrages, dont Initiales (éditions Voix d’encre) qui lui a valu le Prix Artaud en 2000. Elle a exercé comme psychologue dans un hôpital psychiatrique de Clermont-Ferrand.
Les oiseaux et le village de Cronce, en Auvergne, sont des thèmes récurrents dans l’oeuvre poétique de Chantal Dupuy-Dunier. Elle a publié une trentaine d’ouvrages parmi lesquels Mille grues de papier (Flammarion), Un n’oiseau, des z’oiseaux (Motus), Creusement de Cronce (Voix d’encre), Pluie et neige sur Cronce Miracle (Les Lieux dits).