Une lecture de Patricia Bouchet
L’Imbécile et l’encyclopédie, 2021 – Gisèle Gueller – Éditions Brandon et Compagnie
On ne rentre pas dans la lecture de L’imbécile et l’encyclopédie comme on rentre dans un roman classique. Non, non, non, il faut envisager de commencer la lecture d’un O.L.N.I. (Objet Littéraire Non Identifié) L’acronyme n’est pas de moi mais convient si bien à ce roman de 220 pages.
L’écriture de Gisèle est ciselée, somptueuse. Pour son premier roman, elle s’attaque à des contraintes littéraires ardues. C’est un exercice de style digne des OULIPO et, l’exercice tient jusqu’à la fin.
Quel est -il ?
C’est justement la mission qui va être confiée à cet imbécile.
Une brève introduction sur le personnage de l’Imbécile commence le roman. L’auteure a choisi de nommer cette présentation « Prolégomènes » (c’est une longue introduction). Gisèle Gueller trace donc le parcours de ce garçon, les prémices de son histoire et nous explique pourquoi il est prénommé L’Imbécile.
Vous souhaitez le savoir ? Il faut lire ce roman pour le découvrir.
L’Imbécile se gratte et pour occuper ses mains, la vie va lui faire rencontrer une… académie. Académie peu ordinaire, l’A.A.A., l’Académie des Auteurs Anonymes, présidée par six femmes.
« Elles ont décidé, dès l’origine, de ne recruter que des hommes qui, comme elles, ont un prénom et un nom commençant par la même lettre ? Depuis la création de l’académie, il avait été décidé que les voyelles seraient des femmes et les consonnes des hommes. » p.15.
Une nouvelle encyclopédie a été commandée par une personnalité du milieu littéraire. La commande n’a toujours pas été honorée. La rencontre, que vous découvrirez, avec l’imbécile va permettre à l’ouvrage de prendre forme dans les mains de celui-ci. Mais pas n’importe quelle encyclopédie.
« Elle a pour particularité de se composer de 26 mots dont chacun d’eux commence par une lettre de l’alphabet. Pour chaque lettre, un mot. Pour chaque mot, une phrase. Et pour chaque phrase, des mots commençant par la même lettre. » p.21.
Décidément, une académie peu ordinaire, une encyclopédie originale pour un Imbécile peu commun. Une intrigue naît, dont je ne dirai mot ici. Pour la connaître… Il faut lire ce roman…
À la page 47 du roman, nous commençons à découvrir cette fameuse encyclopédie !Une galerie de personnages va s’en suivre, aussi touchants que drôles, aussi décalés que conventionnels. Des gens peu ordinaires liés entre eux, qui se croisent, se toisent, s’associent. Ils ont tous des fonctions différentes, des atouts propres. Ils sont les lettres de cet alphabet, ils sont les mots de l’auteure, ils sont les lignes qu’elle cisèle et qui se forment avec génie. Un déroulement qui file et qui surprend à chaque silhouette alphabétisée. On déguste ce roman avec gourmandise.
Exercice de style subtil et périlleux. Prouesse réussie.
Questions à l’autrice
D’où vient ce goût des mots et des exercices de style ?
« Le goût des mots m’est venue toute petite puisque je savais lire à 4 ans. J’ai immédiatement compris que lire était synonyme de grande évasion. J’ai rapidement vu la richesse que c’était de jouer avec les mots. J’ai écrit dès 6 ans de la poésie. Puis je ne n’ai presque jamais cessé d’écrire. Les mots ont une saveur quand on prend le temps de les goûter, de les déguster. Jongler avec les mots c’est comme faire un jeu de construction et trouver le meilleur agencement. Alors l’encyclopédie est un jeu. Comme lorsqu’enfant, on jouait au jeu du dictionnaire. Et puis la répétition des mots commençant par la même lettre c’est une forme de rituel rassurant., toujours recommencer avec une lettre puis une autre. »
Comment a germé l’idée de ce roman si original ?
« L’idée du livre est venue d’un concours dont le sujet était d’écrire un roman à partir d’une phrase de Giono ou Mark Twain : » Ils savaient que c’était impossible à faire, un Imbécile est arrivé et lui, il l’a fait. » Ainsi est né Adam, le premier homme et la première lettre A. Mon livre a plein de tiroirs que l’on peut ouvrir ou pas en le lisant. Mme Castillo, Rosa, est aussitôt arrivée, par gourmandise et pour son histoire qui ne pouvait que s’accrocher à celle de l’Imbécile. Ainsi est né l’Imbécile et l’encyclopédie. »
Gisèle GUELLER est née en 1961 au mois des vendanges. La lecture, dès l’âge de 4 ans, a été une passion. Elle n’a dès lors jamais cessé d’écrire. Des poésies, pour certaines publiées dans des revues, des chroniques publiées dans des revues de travail social, des nouvelles et puis l’Imbécile et l’encyclopédie qui elle l’espère aura de la compagnie avec un nouveau roman qui est en cours.
Sa vie professionnelle auprès de jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance est une source d’inspiration comme l’est tout ce qui fait sa vie, du dessin à la musique et au chant. L’observation du monde est une immensité pour qui sait regarder. Cette immensité mise en mots laisse des milliards d’histoires possibles à raconter.