Eliot Ruffel, Après ça

La lecture de Patricia.


On entre dans la lecture de ce premier sensible et pudique roman comme dans une ville inconnue. Dès les premières pages, le lecteur entame une marche lente, une déambulation. Une ville de bord de mer, sa jetée, sa plage, ses bunkers. On rencontre un décor : des allées, des rues, des commerces, des intérieurs de maisons et on parcoure ainsi rapidement les liens silencieux entre les personnages. Max et Lou, Nathalie, le père, etc   Le lecteur avance doucement dans ce qui se joue entre chacun. L’écriture singulière décortique le quotidien de deux jeunes, Max et Lou, au cœur d’un été où ils sont traversés par l’ennui et l’errance.
S’enivrer, laisser passer les heures pour déjouer les travers familiaux, la violence ou l’absence. Toutes ces heures entre eux tissent le lien.
Un roman sur l’amitié entre deux jeunes au bord de l’âge adulte. Une amitié qui déambule, qui se taquine, faite de rendez-vous. Il y a aussi des paysages dessinés de mots, des décors, des intérieurs qui fixent le cadre. Tout se joue entre des murs qui enferment, des claques qui tombent, et les mots qui ne savent pas sortir et dire. Une jetée qui ouvre l’horizon, qui délie les langues quelquefois, qui donne espoir. Le décor, les décors sont des personnages, ils sont le socle qui permet les confidences. Les absences de certains (le frère, le père) créent un vide silencieux entre eux mais aussi un pont, un point de rencontre. Si l’ennui parcourt l’été de ces deux jeunes, le lecteur, lui, glisse sur les pages, une mystérieuse avancée vers ce qui ne se dit pas.
150 pages d’errance où le langage du silence prend toute sa force, crée un espace. C’est un voyage silencieux où le bruit des douleurs fuite au fils des pages.
Des gestes qui en disent long, des regards qui se croisent et qui disent tout. De belles pages qui donnent à ressentir la puissance des silences, la pudeur des émotions. L’écriture se sclérose parfois autour des dialogues pour exprimer la retenue des mots mais intégrés à la prose, ils forment également une continuité où un parfum de mystère traîne. Quand tout est empêché, les mots s’emmêlent à l’intérieur de chacun, alors ne vaut-il pas mieux les éviter ?
Le dénouement est esquissé, on le devine, on le comprend et comme Lou, l’auteur ne peut le nommer vraiment. L’absence de mots pour éviter la réalité douloureuse. Le tragique arrive, se vit, se ressent mais ne se parle pas vraiment.
Il y a des décors certes mais il a des regards, il y a des gestes, il y a tout ça dans « Après ça » et, il y a la vie qui continue.
Il y a des silences qui crèvent les pages, ces pages peuplées de mots silencieux.
Eliot Ruffel a le talent de décrire le silence et ce qui se joue à l’intérieur de chacun avec tendresse, douceur même et surtout dans la douleur.

Un papillon bleu. En enlevant son tee-shirt Max révèle des taches sur son flanc droit. À peine torse nu qu’il rabat des bras sur le côté, s’allonge près de moi. C’est bleu. Bleu de la couleur du logo du PSG […] Je détourne le visage, plonge mon regard dans le ciel […] Il sait, se doute que je sais. Mais rien, aucun commentaire. Max aime mon silence, aime que je sache sans devoir en faire tout un plat, parc qu’à peine des mots posés que tout deviendrait réalité. p. 75/76


Eliot Ruffel est né à Saint Etienne en 2000. Après ça  est son premier roman, paru le 19 aout 2024.

Découvrir l’ensemble de son travail d’auteur et d’artiste :  https://www.eliotruffel.com/

Eliot sera présent au Festival des Correspondance de Manosque le Vendredi 27 septembre à 15h00 et à l’apéro littéraire le samedi 28 septembre à 11h00.


  • Quelle relation avez-vous avec le silence ? Vous qui savez si bien le décrire.

Je ne sais pas s’il est question de silence ou de pudeur. Pudeur de dire certaines choses ou peut-être de ne pas savoir comment les dire, ce qui impose un silence. Cette impression d’émotions feutrées est le résultat d’une incapacité à les nommer.
Le silence permet aussi une attention accrue sur autre chose qu’une parole, qu’un bruit ou un son. Le silence c’est prendre le temps de regarder les choses dans leur détail, regarder des corps qui parlent autrement.
Il y a aussi et surtout des silences confortables, avec lesquels on est à l’aise. C’est ce qui s’installe par exemple entre Max et Lou, puis plus tard entre Lou et Noé, doucement mais sûrement.

Le silence est l’endroit où les scènes se chargent en densité, ou le réel s’épaissit et où il y a un jeu, celui de savoir à quoi l’autre pense. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *