Entretien avec Maud Thiria

Les Imposteurs, le blog de Guillaume Richez.

Je vis, lis et écris près de Marseille où je travaille dans le domaine de l’éducation. J’ai publié deux polars. Mon premier livre de poésie, Géométrie du cri, paraîtra en octobre 2022 aux éditions LansKine. Je suis membre de la commission poésie du Centre national du livre.
Les Imposteurs est un blog dans lequel je défends les œuvres de création, où s’expriment les voix de la littérature actuelle à travers des entretiens grand format, et où je donne moi-même de la voix avec des lectures à voix haute.
Vous pouvez me contacter à l’adresse contact.bloglesimposteurs@gmail.com.

Guillaume Richez.


Poétesse et artiste, Maud Thiria, née à Paris en 1973, a publié deux recueils aux éditions Æncrages & Co, Mesure au vide en 2017 et Blockhaus en 2020 (prix international de poésie francophone Yvan-Goll 2021). Elle est lauréate 2019 de la bourse de création de poésie Gina Chenouard de la SGDL pour son livre Falaise au ventre, à paraître aux éditions LansKine qui ont publié Trouée en 2022. Ses poèmes ont également paru dans des anthologies, notamment L’Éphémère ­— 88 plaisirs fugaces, (éditions Bruno Doucey, 2022) et Là où dansent les éphémères (Le Castor Astral, 2022), ainsi que dans plusieurs revues dont Sarrazine, TriagesGustaveL’Étrangère, NuncN47Contre-alléesDiérèse. Sa poésie, sensible, intense, puissamment évocatrice, comme les traces qu’elle dessine sur papier à main nue, recompose un travail de mémoire entre corps et paysages traversés.


Dans sa note de lecture consacrée à Trouée, Aurélie Foglia évoque avec une grande justesse votre adresse en « tu », « qui est à la fois une parole vers cette victime [que vous avez été], et une parole destinée à qui voudra s’y reconnaître, et y entrer par l’incitation des poèmes ». Mesure au vide et Blockhaus se structuraient déjà autour d’une adresse en « tu » plutôt qu’autour d’un « je ». Diriez-vous que cette double adresse qu’implique le « tu », constitue le mouvement premier et nécessaire de vos textes, vers vous-même autant que vers l’autre ?

J’écris en effet au « tu » qui me semble bien plus naturel qu’un « je » qui ne serait pas plus intime pour autant. Depuis « je est un autre » de Rimbaud, je pense qu’on ne peut plus vraiment dire qu’écrire au « je » serait plus intime et personnel, plus proche de soi qu’écrire au « tu » qui n’est pas seulement une forme d’adresse. Le « tu » m’est très familier, il parle de moi avec sans doute parfois une certaine distance, dont vous parlez, et en effet il englobe l’autre, qui voudra s’y reconnaître. Quand dans Trouée j’évoque l’image de la « sans visage au visage de tous » c’est dans cet esprit-là. Le « tu » peut même être parfois au masculin dans mes textes comme une forme de neutralité qui engloberait l’être humain. Évidemment le neutre n’existe pas dans notre langue et je ne rentrerai pas ici dans le débat pour ou contre l’écriture inclusive. Ce que je souhaite c’est que mon texte, aussi intime soit-il, dépasse cette intimité pour inviter l’autre à s’y reconnaître, aussi bien homme que femme car malheureusement la violence peut être subie de part et d’autre.

Ici dans Trouée, vu le contexte très spécifique, j’ai de manière évidente écrit au « tu » féminin. C’est sans doute mon texte le plus féministe puisqu’il parle de la violence subie par le fait d’un homme qui a failli m’étrangler mais au-delà de ma propre expérience je crois avoir voulu parler d’une autre violence par la négation qui est beaucoup plus globale. Une violence répétée qui sape par les mots, par les gestes, par l’absence de mots et de gestes aussi dans une forme de maltraitance.

En tout cas l’autre à qui je m’adresse est essentiel pas tant au moment de l’écriture qu’ensuite dans le partage avec les lecteurs et sur scène ou en librairie quand je fais une lecture. En cela le « tu » est partage. Pour moi l’écriture et la lecture se complètent par un échange essentiel et une oralité qui me fait du bien car elle me donne confiance en mes mots, ma voix, tout mon corps. Une sorte d’expression totale par une exposition totale.

Et puis le « tu » c’est aussi autre chose. On ne peut nier, vue l’importance de la sonorité en poésie, que le « tu », particulièrement dans Trouée, évoque, convoque même le « tu » du verbe taire et je me suis longtemps tue sur cette histoire, tout comme il renvoie au « tue » du verbe tuer forcément présent ici.

Le « tu » est donc rassembleur plus qu’un nous pour moi que je trouve souvent assez factice car il a tendance à mettre dans le même sac les autres et moi comme si nous étions liés forcément au sein d’une communauté. Les seules fois où j’ai employé le « nous », c’était dans un cadre bien précis lié à la disparition de notre espèce sur une Terre disparaissante : un couple s’enfonçant dans la vase dans un texte intitulé Nous contre dont on trouve quelques extraits sur le site de Terre à ciel [2], ou encore une humanité en marche dans le chaos du monde dans Brèche première dont des extraits sont parus dans l’anthologie sur l’éphémère publiée au Castor Astral.
Non le « tu » me va bien pour tout ce à quoi il renvoie : les autres, les autres en moi (les ancêtres, les morts que je porte en moi dans Blockhaus par exemple mais aussi toutes ces miettes de moi qui me semblent si étrangères parfois), l’empêchement à dire et à être, le tu et le tué.

« ventre trou /cœur trou / sans plus de bouche pour / crier », écrivez-vous dans Trouée. Cette image se lisait déjà dans Mesure au vide : « rien qu’un écho / au vide / d’une bouche / seule / sans / personne ». Dans Blockhaus, nous pouvons lire : « là en langue étrangère / coincée / au fond de la gorge ». Cette parole, ou peut-être même, de façon plus primordiale, cette voix empêchée, imprègne profondément votre œuvre. Est-ce à dire que le cri est l’impulsion première du poème et que son expulsion constitue le geste vital de l’artiste et poétesse que vous êtes ?

Oui il y a bien un cri premier qui précède toute mon écriture, et peut-être même que mon écriture est tout entière sous-tendue par ce cri. […] Lire la suite sur le blog.

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