Alain Giorgetti, Ce que la France n’a jamais dit à l’Algérie

Politique fiction et discours fiction au service d’une morale « républicaine », d’une fraternité qui traverse la Méditerranée, tout est dit en quelques feuillets comme une proclamation surgie de l’improbable.


Récit national, vérité tue, cachée, double discours, censure sur morasse *, syntaxe détournée, euphémisme éhonté, maintien de l’ordre et guerre, paix des braves, amende honorable, interrogatoire musclé, rôle positif de la colonisation, départements français, plumes éditoriales, plume du Président, révision, déchirement historique, archives scellées, tronquées, ouvertes, prescrites, interprétées, mauvaise conscience, droit de savoir, trop tôt, trop tard, oubliettes, transmission de la mémoire, devoir mémoriel, hypocrisie diplomatique à usage interne, inutilité du repentir, etc. En un mot, le « non dit » de ce déluge de mots écrits à l’encre sympathique qui tissent l’aveuglement.

Le très bref et très efficace opuscule d’Alain Giorgetti déchire comme l’éclair non pas un ciel serein mais les nuées tourmentées qui planent toujours sur cette tragédie que fut la conquête de l’Algérie, sa soumission et son exploitation. Où sont ces temps troubles « d’antan » à la haine ordinaire héroïsée, si bien incarnée par le Maréchal Bugeaud et quelques hautes autorités militaires plus contemporaines à la conscience sereine.

Ne plus faire « comme si », son « héros » élyséen, élu de « tous » les Français, s’excuse et rompt avec la tradition bien établie des petits pas vers une vérité « audible ». Il prononce un discours crûment réaliste le 5 juillet 2022, (c’est demain mais 70 ans après le cessez-le-feu) reconnaissant au pied du monument des martyrs au cœur d’Alger les horreurs commises et assumées comme un « délit continu »… Il y a des gerbes moins éloquentes !

Ouvrir les yeux et la bouche de la République, être le porte-parole d’une réparation mise en mots, tel est l’inconcevable, telle est la fiction, tel est l’incipit « Un crime hante l’histoire ». Ce discours-là, faute de l’attendre depuis si longtemps, jaillit sous la plume d’Alain Giorgetti et « répare » aussi le mal être d’un ancien « appelé » d’Algérie qui signe ces quelques lignes.

De son Voyage au Congo en 1927 Gide avait dressé un constat édifiant. Demeure à écrire le discours qui ne fut pas tenu sous… la Troisième République !

Politique fiction et discours fiction au service d’une morale « républicaine », d’une fraternité qui traverse la Méditerranée, tout est dit en quelques feuillets comme une proclamation surgie de l’improbable.

                                                                                   Michel Jubin

* Pendant la guerre d’Algérie, la censure frappait la presse et l’on démontait sur les morasses les articles censurés ; après impression, les journaux paraissaient ornés de placards blancs.

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