ITW Aret Madilian, DELEYAMAN (en concert le 18 mars à Forcalquier)

Photo Azam Ali

Aret Madilian, fondateur de Deleyaman avec Béatrice Valantin
a longuement répondu à nos questions sur son parcours et sa musique.
Concert le 18 mars 2023 à Forcalquier – Festival HORS-CHAMPS

photo Renaud de Foville


  • Quelle influence a eu sur votre musique votre parcours, géographiquement parlant depuis Istanbul jusqu’à la Normandie en passant par Los Angeles ?

Il est certain que les influences musicales commencent dès notre plus jeune âge quand nous sommes exposés à la musique qu’écoutent nos parents. Et contrairement aux générations depuis l’an 2000 dont les influences et goûts musicaux sont formés en grande partie par  les plateformes de streaming sur internet, la génération dont je fais partie a fait ses premiers pas culturels que ce soit pour la musique ou le cinéma, au sein de sa famille. Et selon la situation géographique de celle- ci.  Et ensuite il y a bien sûr la culture musicale et cinématographique qu’on acquiert lors de notre adolescence qui est une période  éponge pour la plupart d’entre nous. C’est une période où on peaufine ses goûts, ses affinités culturelles. Je suis né à Istanbul au sein d’une famille gréco-arménien où j’ai vécu jusqu’à l’âge de treize ans. Ensuite dans les années 70 nous avons émigré à Los Angeles où j’ai passé toute mon adolescence. Et plus tard, je suis venu vivre à Paris dans les années 90 avant de retourner à Los Angeles puis revenir en Normandie où je vis depuis. Donc forcément tout ceci donne des influences très éclectiques.

– Les influences plus spécifiquement musicales ?

Cela  commence avec la variété des années 70 à Istanbul qu’écoutait mes parents à la maison, la musique des films de Sergio Leone composée par Ennio Morricone qu’on regardait aux cinémas à ciel ouvert lors des soirée d’été à Istanbul. La musique des films des années 70 était vraiment partout et j’aimais bien cette musique. Puis il y avait toute la musique traditionnelle et classique orientale qu’écoutait mon grand-père surtout dans sa voiture, il était chauffeur de taxi à Istanbul. La musique grecque et rebetiko qu’écoutait ma grand-mère paternelle. 
Et puis une fois adolescent, il y a eu les divers mouvements musicaux auxquels j’ai été exposé à Los Angeles dans les années fin 70  et 80  comme la musique californienne et des groupes comme The Doors. Ensuite j’ai découvert les groupes du mouvement post-punk au début des années 80 : The Stranglers, Joy Division et OMD pour en nommer quelques-uns. Et il y a aussi toute la musique classique que j’ai cherchée et découverte dans les médiathèques à Los Angeles et que j’enregistrais sur des cassettes à la maison. Pendant une période, j’ai beaucoup écouté des compositeurs comme Satie, Grieg, Schumann, Poulenc, Debussy, Valentin-Alkan entre autres. 
Mais il y en a tellement d’autres et dans tous les genres, qu’il est impossible de les nommer tous.

– Quelques mots sur votre concert ?

Je suis très heureux de venir donner ce concert à Forcalquier dans le cadre du festival Hors Champs.
Nous étions en studio ces deux dernières années pour enregistrer et préparer notre nouvel album qui sera notre neuvième. L’intention principale que nous avons est d’être sincère avec la musique que nous créons, de ne pas avoir un but autre que la nécessité et la volonté d’enregistrer notre musique. Chaque album a été conçu avec cette même intention. Ce qui est certain c’est que chaque album correspond à l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons pendant toute la période allant de la composition jusqu’à la sortie de l’album. 
D’autre part, comme je pense que nous sommes en train de perdre une certaine poésie du monde en tant que civilisation humaine, j’essaye pour ma part de la retenir et de la préserver dans notre musique, qui quelquefois me paraît représenter un monde perdu mais pas oublié.

– Vos musiciens : qui sont-ils ? une formation fidèle ? Qui se renouvelle ? 

Il y a effectivement Béatrice et moi qui sommes les fondateurs de Deleyaman, que nous avons fondé en 2000. Il y a eu aussi Gérard Madilian, notre premier joueur du doudouk, qui était avec nous lors de la formation du groupe en 2000 et jusqu’en 2020. Et puis il a passé la main à Artyom Minasyan, qui est avec nous depuis 2020. Nous avons commencé à travailler avec Benoît Fournier notre batteur qui vient de rejoindre le groupe pour le nouvel album. Madalina Obreja qui ne sera pas avec nous sur scène pour ce concert, est notre violoniste attitrée depuis quelques années et elle a déjà participé à notre précédent album  Sentinel. Eric Plandé (sax ténor, flûte) et Pierre Baillot (sax soprane, oud, bansuri) sont les nouveaux venus qui ont participé au nouvel album et Jean-Hugues Mauté nous rejoint pour la toute première fois sur scène à l’occasion de notre concert chez vous.

Nous avons aussi collaboré avec d’autres artistes par le passé et nous continuons à le faire.Brendan Perry du groupe Dead Can Dance qui a participé à nos deux albums précédents sorti en 2016 et 2020 ainsi que Jules Maxwell le claviériste de Dead Can Dance sur scène.

–  Béatrice et vous êtes les fondateurs du groupe : les voix sont-elles elles aussi le point de départ, le cœur de votre création musicale ? 

Oui, elles font partie d’une des raisons d’être la plus importante de notre musique. C’est d’ailleurs en entendant la voix de Béatrice chanter avec un ami au piano que je lui avais proposé de venir faire des essais d’enregistrements à la maison il y a 23 ans et nous avons la grande chance de continuer notre chemin ensemble. Pour moi, elle a une voix unique qui porte une sincérité désarmante. Une voix pour des berceuses, très rassurante et presque maternante. Et je savais quand je l’ai entendue pour la première fois qu’elle avait une musicalité naturelle peu commune sans avoir eu une éducation musicale quelconque. Elle est complètement autodidacte. Et comme je suis moi aussi autodidacte, cela a été  plus facile de travailler ensemble sans être encombrés d’une éducation musicale qui nous aurait peut- être trop formatés. J’ai toujours pensé et constaté que l’éducation musicale peut être une épée à double tranchant.

– Quelle importance pour vous et pourquoi  le récent The Abbey Project

The Abbey Project est un album de 10 pièces musicales que j’ai composé pour la première édition d’un festival d’art multiculturel qui a eu lieu dans 14 abbayes de Normandie fin octobre-début novembre 2022. Les responsables des Abbayes de Normandie m’avaient contacté après avoir assisté à un de nos concerts qui avait eu lieu dans le parc d’un Manoir (Manoir du Catel) en été 2021. Ils m’ont fait part du projet du festival dont le thème était le silence. Et comme j’ai toujours senti et pensé qu’une certaine musique évoque le silence et l’introspection plus que le silence lui-même, j’ai basé mes compositions aussi bien sur ce thème que sur les architectures de ces magnifiques abbayes. Je voulais composer une musique qui s’intégrerait à ces lieux comme le vent et la lumière changeante. Et j’ai essayé de mon mieux pour que la musique propose ce silence. La musique a été présentée et diffusée dans les 14 abbayes pendant une semaine, certaines des abbayes diffusaient la musique en extérieur en plein dans les vestiges, d’autres en intérieur dans les abbayes.

– La collaboration avec Fanny Ardant : point de départ, continuité ? 

Nous avons rencontré Fanny Ardant en 2016 quand elle a contacté notre éditeur pour demander les droits d’utilisation de deux titres de Deleyaman pour son film Le Divan de Staline qu’elle tournait avec Gérard Depardieu et Emmanuelle Seigner. Les deux titres ont fait partie de la bande son de son film qui est sorti en 2017 et nous nous sommes rencontrés. Au fil de nos rencontres et conversations, nous avons eu l’envie de monter sur scène ensemble pour faire un concert-lecture Deleyaman & Fanny Ardant. Béatrice a proposé le texte de Stig Dagerman Notre besoin de consolation est impossible à rassasier et j’ai composé la musique qui allait accompagner Fanny pendant les intervalles de la lecture du texte. Entre les trois intervalles de lecture, nous avons voulu jouer les titres de Deleyaman dont les paroles sont tirées des poèmes. Notre premier concert-lecture a eu lieu à la Maison de la Poésie à Paris en janvier 2021. Ce concert a été diffusé en direct sur internet. Ce qui nous a permis de rencontrer la fille de l’auteur Lo Dagerman qui avait suivi le concert en direct de la Californie où elle réside aujourd’hui. C’était vraiment formidable de recevoir un email de sa part en disant à quel point elle avait été touchée. Notre deuxième concert a eu lieu le 14 janvier, 2022 au Trianon Transatlantique à Rouen.
Nous avons d’autres dates qui sont prévues pour cette année mais rien n’est encore confirmé. Le concert-lecture Deleyaman & Fanny Ardant est disponible sur la chaîne Youtube de la Maison de la Poésie.

  • Et le prochain album ?

Le nouvel album de Deleyaman (notre neuvième) sortira au mois de juin. Il s’intitule The Sudbury Inn. C’est un album inspiré partiellement par les écrits de Henry Wadsworth Longfellow qui en 1862 a séjourné dans cette auberge où il a écrit Tales of a Wayside Inn.
Un conte en forme d’un très long poème inspiré par les histoires de vies racontées tous les soirs autour de la cheminée de la taverne de l’auberge par les voyageurs qui séjournaient dans l’auberge avec lui. C’est aussi un album que nous allons dédier à trois personnes très chères à nos cœurs que nous avons perdues dont Catherine Valantin. La pochette de notre album est une œuvre peinte par Catherine.


Le dernier album paru (2020)

Sentinel traduit, en musique, le plus justement possible, notre état présent, avec une conscience aiguë de toutes les menaces pesant sur notre monde » dit Aret Madilian). Sentinel est aussi synonyme de gardien, gardien de l’idée qu’un certain art, créé d’une façon indépendante, est encore utile » précise t-il. Sentinel veut aussi traduire « un esprit critique vis-à-vis de la culture politiquement correcte… et contre les critères du progrès définis seulement par l’argent et l’économie ». Quand je rappelle à Aret que « cri de sentinelle » apparaît même dès le 1er titre, « Exil », Aret ajoute que c’est « comme une mise en garde pour l’avenir, le rappel que toute proposition de construction d’un système social ou concept humain doit sans cesse être questionné, surtout quand on réalise dans quelle voie sans issue nous nous trouvons aujourd’hui ».

Présentation complète de l’album ici.

Écouter un extrait ici

.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *