Lenka Horňáková-Civade

© Isabelle de Rouville

Lenka nous a envoyé un texte intitulé « Une flânerie dans la blancheur hivernale ».
Paysage(s), impressions, poésie et méditation.

Une présentation rapide de l’autrice.
Née en 1971 en République tchèque, Lenka Horňáková-Civade mène de front l’écriture et la peinture.
Elle vit dans le Vaucluse.

Elle a publié trois livres chez Alma EDITEUR :
Giboulées de soleil (2016 – prix Renaudot des lycéens)
Une verrière sous le ciel (2018 – prix Richelieu de la francophonie)
La Symphonie du Nouveau Monde (2019 – prix littéraire des jeunes Européens)
Evelyne avait lu le dernier roman à sa sortie, c’est sur son blog ici.
La Symphonie du Nouveau monde vient de paraître en tchèque, traduit par l’autrice qui a également réalisé le dessin de couverture (photo-montage Alma Editeur)



Une flânerie dans la blancheur hivernale

Il y a quelques jours, lors d’une longue promenade sur le plateau, s’offraient à moi à perte de vue des champs couverts de neige. De l’autre côté du chemin, les arbres ployaient leurs branches en courbes élégantes, empreintes d’une certaine tristesse. Le sol se confondait avec le ciel gris clair, bas et épais.
Ce sont les images de mon enfance qui auraient dû surgir de ma mémoire, les collines et vallées blanches et dodues, les forêts d’épicéas fièrement dressés, éclatant en un fracas, en mille échardes gigantesques grâce au froid polaire, des stalactites en cristal décorant les toits des maisons en une posture à la fois guerrière et fragile.
Cependant, par je ne sais quel mystère, ce paysage en évoqua un tout autre…

Les bras de la terre bercent l’océan majestueux qui en frémit de plaisir. Il est temps de partir, le ciel, chargé, l’accompagne.
Reste, tel un grand tapis épais, doux, souple, le sable.
On en ramène toujours un peu à la maison. Souvenir d’une liberté tout innocente, enfantine.
Les traces, témoins de notre passage, ne résistent que jusqu’à la prochaine vague.
On s’efface, on avance, on s’oublie, on recommence.
À marcher sur la plage, arriver sur l’île le pied sec, on se prend pour Dieu.
Face à soi-même, un instant Dieu, celui d’après, infime atome dans l’univers.
On balance entre un sentiment de force et d’impuissance.
Quand l’océan se retire dans la lumière immense, comment croire en notre propre existence ?
La voûte céleste déploie toute son ampleur et propose de fabuleux tableaux.
Je ne sais pas lire la direction des vents, décortiquer la forme des nuages. Le regard vierge, les pensées vagabondes, j’enfourche n’importe laquelle de ces formes indicibles, duveteuses. Déjà perdue sur la terre, je pars dans le gris, dans le blanc, à ras du sol, en hauteur. Loin. C’est bien.
Dans une étrange communion avec cette immensité, l’inquiétude perce, il faut trouver sa place, se rassurer.
Alors vient à l’Homme le geste, le geste de l’artisan, celui du musicien, celui du maître, à la recherche de l’accord harmonieux, en quête de justesse.
Alors vient à l’Homme le geste, le geste de l’artisan, celui du musicien, celui du maître, à la recherche de l’accord harmonieux, en quête de justesse.
Combien de chutes pour une exécution parfaite des trente-deux tours sur une pointe dans le Lac des cygnes ?
Jusqu’à l’épuisement.
Entre recommencer et répéter, où est la différence ?
Deuxième chance ou permanence ?
Se lever, se relever, continuer.
Répéter inlassablement le premier mouvement de vie.
Pour rester en vie, il en faut toujours une autre, nouvelle – inspiration.
L’invisible suspension du monde au loin. Et si l’océan ne revenait pas ? Quelle horrible vision.
D’un coup, le cours des choses s’inverse.
De la blancheur hivernale surgit l’évidence : Homère avait raison, la mer a la couleur de la lie de vin.
J’ai toujours été impressionnée et enchantée par la soudaineté, le réalisme et la force des associations d’idées. La magie d’un paysage souriant.
Comme une plaisanterie.


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