Alain Giorgetti

Nous avons donné « Carte blanche  » à Alain Giorgetti, auteur, réalisateur, plasticien.

Son premier roman La nuit nous serons semblables à nous-mêmes est paru en 2020 chez Alma EDITEUR.Vous pouvez en lire une chronique ici.

Voici le texte qu’il a écrit pour Désirdelire. Quand vous l’aurez lu, vous comprendrez pourquoi nous vous le proposons comme première contribution !

P’TIT ROBERT

Au village les gens ils disent que je vais tomber malade. Un jour. Que toute cette fumée c’est pas bon pour la santé. Cherche un autre boulot Robert. Tu vas voir un jour, qu’ils disent. Qu’est-ce que j’sais moi ? Les arbres, les vaches, les oiseaux et tout. Je suis tout le temps dehors. Quoi de mieux ? Chaque fin de semaine y’a le camion et voilà. Il arrive, il entre en marche arrière, il verse, et il repart. Il déverse tout dans la cour et hop ! au boulot le Robert. Salut P’tit me lance le chauffeur, sans descendre de son bahut. Pas toujours le même le chauffeur. Des militaires. Avec le drapeau sur l’épaule et tout. Il arrive et il verse. Direct du Ministère y paraît. Après, bon, j’ai pas la journée. Faut que je brûle c’est tout. J’allume le four, je prends ma fourche, j’alimente le feu. Paraît qu’ils ont choisi le lieu à cause du vent. Que d’ici ça emmène tout de l’autre côté des collines. L’autre dimanche, un type est venu de la capitale. À vélo il était. Il voulait en récupérer un. C’est interdit j’ai dit ! Il a sorti une photo de son portefeuille, et il a dit que c’était pour ses enfants. Je sais pas. J’ai laissé. Toute façon je suis tout seul je suis. Jamais personne. Mais vous savez vous le trouverez pas j’ai dit. Le type a posé son vélo et il a grimpé sur le tas dans la cour. Toute l’après-midi il a cherché. Á quatre pattes Il en suait des gouttes. Grosses comme le poing. Alors du coup j’ai sorti la bouteille d’eau de vie. Le type m’a raconté que c’était l’œuvre de sa vie et tout. Que chacun d’entre nous porte un livre. Même au village j’ai dit ? Oui qu’il a répondu, même au village. Alors je lui ai raconté que moi j’en portais plein des livres. Tous les jours. Tout le temps. Tous les livres déchargés dans la cour c’est pour le P’tit Robert. Des centaines, des milliers que j’ai mis dans le four depuis le coup d’Etat. L’avantage c’est que ça brûle bien. Le papier ça va vite ça va. Vous avez vu mes mains ? Vous avez vu si ça reste. Comment ça laisse des traces. Le truc c’est aussi dans les poumons. Dans la gorge, dans la bouche, les narines, les oreilles, les yeux. Tout ça c’est la fumée. Même la salive des fois. Je les recrache vos livres, vous comprenez. Tenez ! a dit le type en souriant. J’en ai pris un pour vous Monsieur Robert. Merci j’ai dit, merci M’sieur.  Personne m’appelle jamais Monsieur Robert. Personne. C’est P’tit Robert que c’est. Alors le type est reparti sur son vélo à la capitale. Les phares allumés avec un paquet de bouquins sur le porte-bagages. Un livre pour moi c’est gentil sauf que je sais pas.  Le P’tit Robert il sait pas lire il sait.

1 réflexion sur “Alain Giorgetti”

  1. Mireille POULAIN-GIORGI

    – Pourquoi brûles-tu l’école, là où tu as appris à lire?
    – Je ne sais pas lire. ► Un slogan de l’automne 2005 lorsque les passions s’enflamment.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *