Touhfat Mouhtare /Le Feu du Milieu

La lecture d’Evelyne Sagnes

Un roman foisonnant, dense, chatoyant, brûlant, tumultueux, parfois déroutant par son imagination exubérante, Un voyage intérieur initiatique qui ressemble à une épopée, nourrie de légendes et en même temps ancrée dans le réel de la vie quotidienne.


Voici un roman qui transporte le lecteur très loin,  – pas aux antipodes géographiques mais presque, en tout cas métaphoriquement –   et l’emporte à travers des mondes réel et imaginaire, sans qu’il y ait de  frontière entre eux.
Une plongée dans la vie quotidienne d’une île, aux Comores avec l’histoire de cette jeune servante, nommée Gaillard. Elle est celle qui (se) raconte : ce dispositif narratif, que l’on pourrait considérer périlleux, permet à l’autrice de donner au personnage une place incontestée au cœur du récit et un point de vue particulier qui suit au plus près son évolution. Elle prend en mains peu à peu son destin, y compris dans la narration !
Je ne me risquerai pas à tenter de résumer le récit. Ce serait à la fois inutile et terriblement réducteur. Parce que justement, c’est le foisonnement des événements et leur entrelacement avec des légendes et des contes qui donnent au roman sa singularité. Un monde où les djinns côtoient quotidiennement les hommes et les femmes. Nous nous y égarons parfois !

On peut donc parler, je crois, pour ce livre, de « réalisme magique », le réel et le fantastique se marient tout au long du texte. On passe de l’un à l’autre, sans rupture,  et la quête des fameux dés de l’abjad (nom donné à l’alphabet arabe), aux pouvoirs  extraordinaires (selon une légende bédouine), maintient la tension du récit tout au long des 334 pages et pose les jalons d’un voyage intérieur extraordinaire, où deux figures tutélaires inspirent, consolent et accompagnent la jeune femme : Tamu la mère adoptive et le maître Fundi.

Gaillard se construit, se forme, élève attentive et douée pour apprendre les sourates,  et elle s’apprend elle-même au fil de rencontres étonnantes, libérée des lois du temps et de l’espace et affranchie aussi peu à peu de celles des hommes dans une société où ils ont tous les pouvoirs.
La liberté (que donne en particulier le savoir) mais aussi, surtout finalement, la quête de l’amour dont toutes les formes apparaissent au fil du texte. Les amours fortes, les amours vaines, les amours fidèles, les amours perdues…
Les dernières lignes du texte (bien sûr il faut avoir lu tout le roman pour en comprendre tout le sens !) de ce point de vue sont révélatrices :
« Au-delà du temps
Au-delà des règles,
Au-delà des corps,
Et loin si loin
De tout ce que nous croyons être nous

Je t’aime. »

L’écriture de l’autrice a la saveur des fruits et de la nature de l’île, de ses paysages, elle est colorée, juteuse, épicée, parfumée. Elle est très sensuelle, dans ses descriptions des corps, qu’ils soient souffrants, exultants ou magnifiés, des émotions et de leurs manifestations. Déferlante aussi comme un flux puissant.

Un roman foisonnant, dense, chatoyant, brûlant, tumultueux, parfois déroutant par son imagination exubérante, Un voyage intérieur initiatique qui ressemble à une épopée intime, nourrie de légendes et en même temps ancrée dans le réel de la vie quotidienne.

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