Isabelle Flaten, La Folie de ma mère

La déclaration d’amour à la fois douloureuse et bouleversante d’une fille à sa mère, avec la distance juste d’une belle écriture.

Présence(s)

Un récit à la première personne interroge toujours : qui est ce « je » ? Autant que je sache, ce texte est très personnel. Dans quelle mesure et jusqu’où, je ne saurais le dire . Et en réalité, sa valeur pour nous tient d’abord au fait que, venu de  toute évidence de l’intime, il nous touche par les émotions qu’il évoque et suscite.  Mais pas seulement : il s’agit de littérature et c’est pour cela aussi qu’il nous importe : les qualités d’écriture d’Isabelle Flaten le portent ainsi au-delà de la stricte expression du « moi ».

Elle a choisi d’écrire au présent, un procédé qui de facto « met en scène » directement les événements, comme si le passé était si vivant qu’il n’était pas possible de le relater autrement.  C’est aussi un texte adressé : c’est à sa mère qu’elle « parle », un « tu » qui ne peut répondre mais premier destinataire. Cela renforce le sentiment de proximité et de présence. Il y a une forme de réponse, dans la mesure où tout à la fin de sa vie, la mère envoie à sa fille un manuscrit. Autre regard sur leur histoire, mais non publié faute d’autorisation.

 C’est aussi une écriture sans filtre, d’une lucidité permanente, je dirais presque brutale tant elle refuse tout apitoiement. Cette maîtrise constante de l’écriture – et c’est un paradoxe qui n’est qu’apparent, comme d’ailleurs tous les paradoxes… – rend plus intense  et bouleversant  le récit.

« Une fille sans issue »

L’histoire de cette mère et de sa fille, c’est une longue suite de souffrances avec quelques éclaircies, « de brefs instants de grâce », c’est surtout une histoire d’amour constamment mise à l’épreuve par la « folie » de la mère. Une relation à la fois destructrice et vitale : « Je veux tout à la fois te sauver et te fuir. Je t’en veux d’être telle que tu es et m’en veux d’être celle que je suis. J’aimerais être toujours là pour toi et ce jour-là, je t’abandonne.» Opposées et semblables.

La narratrice qui grandit avec le personnage jusqu’à être la femme d’aujourd’hui, raconte avec le regard de l’enfance, puis de l’adolescence puis de l’âge adulte.  Si rien n’est intelligible quand elle est enfant, tout est sensible. Comment se construire auprès d’une mère dont les décisions et les attentes sont contradictoires ?  « Je ne sais plus qui tu es, ni pourquoi tu fais tout ça. Et encore moins qui je suis. Sinon un truc bancal. »

Comment se voit-elle ? « Une fille sans issue. Étrangère de naissance, privée de rêves, pas fichue de se faire une petite place au soleil, n’y songeant même pas. » Sans issue car sans « commencement » pourrait-on dire : elle ne sait pas qui est son père. Et cette question demeure sans réponse jusqu’à la fin. Sans doute à tout jamais douloureuse.

Pour autant le récit n’est pas un réquisitoire contre la mère dont la folie a tant perturbé sa jeunesse. Et l’a amenée elle-même un temps dans le même gouffre.  C’est aussi cela qui est beau dans le livre : dire sans édulcorer mais sans accuser.

« Et nous écririons un livre ensemble. »

Si le livre est sombre, il n’est ni désespéré ni désespérant : la narratrice parle de « ce petit miracle de renaissance » après les années « peuplées d’épouvantables attaques de panique », « échouée dans des journées sans issue avec pour seul horizon un mur de désolation ». Bien sûr parfois le passé la rattrape, mais elle vit et elle écrit. Elle rêve même, elle s’adresse encore à sa mère : « Je rêve de te ressusciter, que nous puissions vivre ensemble tout ce que nous n’avons pas vécu. Écrire un livre ensemble, par exemple.

Mais au fond n’est-ce pas ce qu’Isabelle Flaten fait ici ?

La déclaration d’amour à la fois douloureuse et bouleversante à sa mère, avec la justesse et la distance de la belle écriture d’Isabelle Flaten.

Editions Le Nouvel Attila, 2021

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