Erri De Luca, Impossible

Michel Jubin a lu et vous conseille vivement ce livre d’Erri De Luca, traduit par Danièle Valin.

Vidéo en fin d’article : Erri De Luca parle de son livre.

Le possible de l’impossible…

Erri De Luca signe Impossible  (Gallimard 2020) un roman de stratégie judiciaire, arbitré comme une partie d’échec inquisitoriale jouée dans un implacable huis-clos.

Vous aviez rêvé d’être un jeune juge d’instruction et de vous confronter à un ex-militant, non repenti de « Lotta continua », actif dans les années 70, vous le maintenez en détention préventive afin de mieux l’intimider et vous ouvrez le bal…

L’accusé a connu la prison, les manipulations, un passé ouvrier, des convictions sociales, rien qui ne vous intimide, pire il est amoureux… Vous identifierez-vous à la Cause ? Cher lecteur choisissez…

Il ne s’agit pas d’un jeu de rôles dans un mauvais polar. Que vous reproche-t-on, sinon d’avoir appelé les secours après avoir constaté la chute mortelle d’un randonneur aussi solitaire que vous. Il vous précédait sur un sentier escarpé, toujours périlleux en haute montagne dans les Dolomites ?

Quadrature  de « l’impossible » : ce marcheur est un ancien « révolutionnaire » des années de plomb. Ce « repenti » délateur a entraîné le démantèlement de votre réseau et votre incarcération. Auriez-vous provoqué sa chute, vous suivait-il, le pistiez-vous ? Tout l’art de la filature n’était-il pas de vous devancer… L’effroi est-il meurtrier et l’aveu la pire des preuves ?

Selon le souhait de l’auteur, l’interrogatoire est imprimé en caractères d’une machine à écrire, ce qui ajoute au réalisme visuel de la confrontation. Combien de chances que ce cadavre soit celui de votre passé, fruit d’un ultime règlement de compte ou la dépouille sordide d’une coïncidence accablante.

L’essentiel du débat n’est pas là. L’affrontement se joue sur des idées incarnées : la Loi, « l’appareil d’État » , sa logique accusatoire contre « l’engagement militant » dénonciateur de l’horreur économique à la légalité contestable. Hors audition, l’amour des cimes et une aspiration humaniste se partagent furtivement entre les protagonistes. Factuellement, la réalité des faits déroulée sans témoin, l’innocence de la « victime » n’importent guère plus que la culpabilité présumée du « mis en examen ». Le seul témoin impassible et inaudible est la montagne…

À l’étroit dans sa geôle, l’inculpé est aussi libre que Le joueur d’échecs de Stefan Zweig , peut-être parce qu’il est amoureux et que ses lettres d’amour à son ammoremio valent toutes les plaidoiries.

J’ai toute une variété de bonheurs avec toi, tu ne m’en as pas privé, tu en as même inventé que je ne pouvais imaginer. Ils sont faits sur mesure pour moi et ne pourront se reproduire avec un autre.

Il en va ainsi des bonheurs.

On devine que les rêves s’enracinent dans les incidents fortuits de la veille. Pour Erri De Luca, cet « hier » se déroulait il y a quarante ans, lorsqu’il n’était pas un grand alpiniste, lorsqu’il était ouvrier militant chez Fiat, lorsqu’il ignorait l’hébreu, lorsqu’il n’était pas un spécialiste incontesté de l’Ancien Testament. C’est tout ce manque et cette accumulation de connaissances qui nourrissent hic et nunc cet « Impossible » roman d’expériences, d’idéalisme, de transmission et si parfois la Justice ne tient qu’à un cil, alors il s’agit aussi d’un brillant polar écrit par un sage.

Peut-on recommander également la lecture de son livre précédent Le Tour de l’oie (2019) dans lequel l’auteur s’invente un fils qui précède et nourrit l’invention d’un « jeune » magistrat ?

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