Une nouvelle lecture de L’âge de la première passe d’Arno Bertina

Michel parle avec une certaine passion, voire une passion certaine, du livre d’Arno Bertina.

Déjà chroniqué sur notre site (ici), ce texte est à nouveau mis en avant. Il le vaut bien…


Tout serait-il dit dans ce titre ? 12 ans, 11 ans, 10 ans ? Quelque chose qui aurait à voir avec l’objectivité statistique d’un rapport d’enquête de l’UNICEF ?
La tentation est grande d’ajouter un sous-titre à ce récit : ou le massacre des innocentes. Jadis la soldatesque d’Hérode marquait les portes des enfançons à trucider. Aujourd’hui démuni de portes, derrière des rideaux crasseux masquant des piaules de fortune en parpaings, au fond de cour sans miracle, des gamines se sacrifient. Au Congo, dans ces bordels VIP, (appellation dérisoire des claques sordides) on viole ou presque pour 3 francs six sous CFA, des gamines dont le consentement est un alibi dérisoire.
Lupanar de luxe de Madame sic Claude, bordel militaire en campagne qui transporte les putes en casque lourd, dans des camions GMC au fin fond du bled pendant la guerre d’Algérie, qui sont les proxénètes dévoués, les love, pour quel profit ? Quels reliquats au bénéfice des soumises d’un gynécée perverti  ?
De quelle misère sexuelle parle-t-on, lorsque les clients à peine plus âgés, frappent, ne payent que la moitié de la passe, voire pas du tout ou imposent une tournante? Quelle misère incommensurable jette son voile d’impudeur sur ce marché aux esclaves ?
Le plus vieux métier du monde blesse des gosses, souvent déjà mères. Il y faut la grande oreille d’Arno Bertina pour entendre 60 filles dont certaines dans ses ateliers d’écriture conjureront avec leurs mots en français, traduits de leur langue maternelle, leurs maux du quotidien.
À une domination francophone pas seulement externe au système, s’ajoute celle des sorciers et sirènes. Assignation angoissante terrible : être ou ne pas être sorcière, hors jeu assuré d’une société pour laquelle la magie est affaire sérieuse. « l’âge de la première passe » nous ouvre ces arcanes multiples, grâce à une plume fluide trempée dans l’encre de la solidarité.  
Lui, le belle âme recruté par une ONG multiplie de longs séjours pendant trois ans, il en rapporte des observations lucides prises sur le vif. Ce vif à fleur des peaux maltraitées, MST, violence, sadisme, rien ne leur est épargné, ni le coût d’une IVG, ni l’extrême cupidité de sœurs en bordel, facilitatrices des rencontres.
Le trottoir se fait sur la terre battue et sous la tôle ondulée.
Merveilleux instant furtif de bonheur d’Arno Bertina qui se souvient comment il se penche sur  sa propre fillette endormie, réajustant une couverture défaite. Ici face aux rêves éveillés et illusoires d’adolescentes douloureusement mûries, que s’agit-il de réparer ?  Combien d’entre elles, grâce à cette ONG patiente, s’échapperont d’une marginalité excluante ?
De ces pages coule la boue diluvienne, dans laquelle s’enfonce toute une humanité dans la nuit d’encre des Tropiques, (pas d’éclairage public) dans une chaleur irrépressible, sous les décibels insupportables des musiques à bar, bicoques de nuit. Fusent aussi les éclats de rire avec l’espérance naïve de la rencontre du prince charmant et jaillit la sororité de ces jeunes femmes dorlotant l’enfant de celle qui est sous presse, comme se plaisaient à l’écrire les ignobles Goncourt dans leur Journal.
Les jeux de séduction à l’égard de l’auteur expat en pointillé et ambassadeur extraordinaire opposant sa parfaite neutralité ne sauraient se confondre avec la discipline inquiète imposée aux techniciens foreurs pétroliers. Leur rentabilité suppose une chasteté assumée ; une MST viendrait contrarier les plannings d’exploitation !  
Cette joie de vivre des filles, malgré tout face cachée du désespoir, il y fallait pour l’observer, la fréquentation préalable assidue des universités imaginaires d’Arno Bertina, consacré docteur es sociologie, ethnologie, linguiste. Cette faculté de la Compassion n’inscrit personne qui ne détienne une attestation préalable de tendresse en bonne et due forme.
Gosses blessées qui font la vie à défaut de faire l’amour, elles portent toutes une blessure béante depuis la plus tendre enfance. Viol, abandon, orphelines d’une immense pauvreté sans fond, leur détresse épargne leur esprit et leur âme.
Abandon, maître mot, mot clef sur lequel s’interroge Arno Bertina, ainsi que sur nos fragilités, sur les siennes et nos vaines échappatoires.
Centre Afrique ou Congo regorgent, dégorgent de richesses. Dirigeants corrompus, alliés au cynisme des dirigeants de Total et consorts, proxénètes du pétrole, tous sont sur la sellette… Ce procès-là n’est pas oublié et dans l’ombre qui recouvre ces héroïnes réchappées de l’enfer, naîtra un jour une future procureure, avocate d’une cause populaire. Le besoin de justice lui aussi est  impossible à rassasier…




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