Auður Ava Olafsdóttir, La Vérité sur la lumière

Traduit de l’islandais par Éric Boury.


Le blog d’Emmanuelle Caminade
Du compte-rendu à l’analyse, ce blog de critique littéraire s’intéresse à la qualité et à la singularité des livres sans tenir compte de leur médiatisation. Il ne se limite pas à l’actualité, même s’il privilégie les auteurs contemporains. Et, depuis mars 2009, il propose systématiquement des extraits du livre critiqué en fin d’article afin d’en donner un aperçu objectif. Pour la quasi-totalité des auteurs de langue italienne (lus en v.o.), ces extraits sont de plus donnés en italien.


Après L’embellie, roman particulièrement fantaisiste et loufoque, et le magnifique Miss Islande qui remporta le prix Femina étranger en 2019, La vérité sur la lumière s’avère plus déroutant et audacieux mais tout aussi attentif à la nature, aux animaux ou aux phénomènes météorologiques, et à la beauté des paysages islandais.

On y retrouve avec plaisir l’écriture poétique teintée d’humour d’Auður Ava Olafsdóttir, son regard décalé innocent sur les petits détails de la vie mêlant l’infime à l’infini. Mais c’est un roman sans intrigue dont les situations et les événements anodins ont surtout une portée symbolique, et sans personnages véritablement incarnés, les métiers exercés et les pensées primant sur les affects.

Sautant souvent du coq à l’âne, le style y présente de plus peu d’unité. On passe ainsi sans transition, non seulement d’un sujet à un autre, mais de notations précises et objectives à des remarques personnelles philosophiques ou prophétiques, des évocations poétiques ou des énumérations et des listes…

Quant à la structure, elle semble apparemment peu cohérente, le lien (1) n’étant pas évident entre la première partie, Mère de la lumière (le plus beau mot de la langue islandaise pour désigner une sage-femme) et la seconde intitulée Zoologie pour débutants ! Deux parties émiettées en de multiples petits chapitres hétéroclites le plus souvent en lisière du sujet qui se recoupent parfois, et dont les titres rebondissent sur un mot ou une expression qui n’en résume nullement le contenu.

L’auteure – pour qui l’écriture est avant tout organisation du chaos, bricolage d’un bric à brac d’observations et de questionnements, d’émotions et de pensées surgissant du quotidien – ose ainsi mettre en scène ce chaos à l’état pur dans un roman morcelé protéiforme, imprévisible et inachevé, dont la logique réside justement dans cette absence apparente de cohérence : «le monde est morcelé et l’homme n’en perçoit que des fragments», même si finalement «tout est lié».

La vérité sur la lumière est aussi un roman très malicieux car, dans une vaste mise en abyme, toutes les critiques que l’on pourrait lui adresser sont celles déjà adressées par son héroïne narratrice aux manuscrits de sa grand-tante, que cette dernière n’a pu réussir à publier pour ces raisons. Mais «aujourd’hui les gens sont plus ouverts aux récits chaotiques et déstructurés» !

Et de ce long empilement et ressassement, de cette profonde rumination, le lecteur devra tirer la substantifique moelle.

1) Une première partie s’ouvrant sur une pensée de Pascal la plaçant sous l’égide du mystère : de l’ignorance humaine quant au monde et à soi-même. Tandis que la seconde est précédée d’une citation de Beckett mêlant d’emblée la vie à la mort, l’homme y étant abordé comme l’espèce animale la plus démunie à sa naissance…

Nous sommes en Islande, île volcanique aux trois quarts constituée de nuit et de vent. Le roman se déroule sur ces quelques jours conduisant aux fêtes de Noël correspondant au solstice d’hiver où l’on s’enfonce dans la profondeur de la nuit avant que le schéma ne s’inverse. Une période qui chez les Chrétiens est celle de l’attente de ce messie ayant partagé la condition humaine de la naissance à la mort. Et qui incarne le désir de marcher vers cette lumière symbolisant le renouveau éternel. On y annonce de plus cette année-là une «dépression titanesque» : une de ces fortes tempêtes qui semblent souvent chez l’auteure (notamment dans L’embellie) devoir renouveler les destins.

Issue par son père d’une famille travaillant dans les pompes funèbres, l’héroïne-narratrice d’une quarantaine d’années est surnommée Dìja. Après avoir été attirée par la théologie, elle est devenue «mère de la lumière» comme sa grand-tante surnommée Fìfa (qui elle-même connaissait la Bible sur le bout des doigts), continuant ainsi une lignée maternelle de quatre générations de sages-femmes initiée au début du XXe siècle par un accoucheur : un «père de la lumière».

Très proche de sa grand-tante dont elle a partagé les dernières années de la vie, la narratrice a hérité à sa mort de son appartement encombré de meubles, vêtements et objets divers (car cette dernière ne jetait rien) : un appartement peu lumineux à l’installation électrique défaillante dont les fenêtres donnent sur le cimetière. Célibataire sans enfants, elle y vit seule, restant toutefois en contact téléphonique quotidien avec sa sœur météorologiste à qui elle raconte ses journées.

‘esprit toujours encombré des souvenirs et des paroles (2) de cette grand-tante à la fois en avance et en retard sur son temps qui s’exprimait en énigmes et en prédictions, elle va enfin, quatre ans après sa mort, entreprendre de ranger et trier toutes ses affaires et de rénover cet appartement quelques jours avant les fêtes.

Dìja avait déjà aidé sa vieille tante à recopier sur un ordinateur ses entretiens sur cassettes menés dans les années 1970 auprès de sept vieilles sages-femmes de la région du Nordurland Vestra qui couraient courageusement la campagne à pied ou à cheval par les nuits d’hiver pour se rendre chez leurs parturientes. Et, ouvrant enfin ce grand carton auquel Fìfa tenait tant, elle va y découvrir, outre sa longue correspondance avec la sage-femme galloise Gwynvere, trois manuscrits inachevés semblant trois brouillons, trois versions d’un même livre. Elle comprendra alors qu’il s’agit sans doute là de cette œuvre que sa tante la chargea d’achever en lui adressant ses derniers mots sibyllins : «A toi de parfaire mon oeuvre».

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