Une lettre d’Isabelle Flaten

Isabelle Flaten nous écrit… de nulle part ?

Avant de lire sa lettre, quelques infos : elle a publié Adelphe, aux éditions Le Nouvel Attila, chez qui sort son prochain roman le 8 janvier, La Folie de ma mère.

Une interview sur France Culture à propos de son roman Adelphe ici,

Elle a également récemment publié aux éditions Le Réalgar Les deux mariages de Lenka, que nous aimons bien à désirdelire (l’éditeur et le livre !). Et aussi chez le même éditeur, Ainsi sont-ils , en 2018.


Chère Evelyne, et vous, les désireux de lire,

Je vous écris de nulle part, d’un monde évanoui où chacun cherche son chat et retient son souffle. Partout des volets clos, des âmes à l’abandon, des êtres errants dans un temps suspendu à la menace. De ce monde en vrac émanent des prophéties apocalyptiques, d’affolantes rumeurs prédisant la disparition de l’horizon. Mais « la rumeur est con » comme l’écrit Gauz dans Black Manoo et je suis une menteuse. En vérité je vous écris de ma mansarde, d’un refuge où il fait bon cultiver mes chimères. Et pour être tout à fait honnête, j’ai la chimère fluctuante, un jour révolutionnaire et le suivant raisonnable. L’important c’est d’y croire. A quoi ? En voilà une étrange question… Mais j’y crois. Parce que l’histoire est une toupie, qu’après l’orgie vient toujours la messe et inversement, que la vie revient toujours là où on ne l’attendait pas.

Qu’elle se dépêche ! Parce que l’autre vérité est que si les êtres de papier tissent des liens insoupçonnés entre certaines personnes, rien ne remplace la chair et l’os, l’essence d’une belle rencontre. En attendant il y a foule dans ma mansarde, ça se bouscule, ça cause, ça picole, ça s’embrasse, parfois ça se passe en librairie, d’autres fois au bord de la mer mais toujours comme dans un rêve.

C’est vous dire, chère Evelyne, chers désireux de lire, à quel point ces temps obscurs me rendent tarte.

Je vous embrasse.

Isabelle  

2 réflexions sur “Une lettre d’Isabelle Flaten”

  1. Mireille POULAIN-GIORGI

    « Partout des empêchements. Partout une vie devant soi quand on aura mangé notre soupe. Partout des portes entrebâillées et des bouches cousues. Partout des blancs entre des mots. Ou des mots qui ne voulaient rien dire sur des blancs. Partout, tout ça… pour ça. Partout la jalousie est un drôle d’animal, qui tache la parole d’une encre venimeuse. Demain peut-être ils seront trop vieux.  »
    Isabelle FLATEN – Les empêchements… Nouvelles ou concrétions de mots et d’images qui sont notre mémoire et notre devenir. Et que j’ai lues avec infiniment de plaisir.

  2. Raymond Penblanc

    Merci Evelyne Sagnes. Seulement j’ai procédé à de (petites) corrections, c’est pourquoi je souhaiterais que vous postiez plutôt la version suivante.

    Chère Isabelle,
    Je n’ai pas de mansarde, ou plutôt je n’en ai plus. J’en avais une autrefois, dans la maison de mes père et mère, où j’aimais me réfugier à hauteur d’arbres et d’oiseaux, tout contre le ciel. C’est là que j’ai commencé à écrire, me réfugiant au cœur d une mansarde bien plus petite encore et pourtant si vaste, d’où je ne suis jamais sorti. C’est de là que je vous écris aujourd’hui, appelons-la tête, cœur, âme, esprit, refuge oui, puisque c’est de lui que je regarde le monde, ce « monde en vrac », comme vous dites, tellement en vrac qu’on ne sait plus si c’est le monde, ni par quel bout le prendre, le prendre et le comprendre, ce monde devenu fou (ne l’a-t-il pas toujours été, ou sera-t-il devenu pire encore qu’il ne le fut ?), auquel on ne sait plus si on doit croire, dont on ne sait plus ce qu’on pourrait faire pour le préserver, s’il faut le caresser, le cajoler, le raisonner, ou le bousculer au contraire, il nous bouscule bien assez lui. Cessera-t-il un jour de nous faire rêver ?
    Chère Isabelle, je vous lis, et je vois bien que vous continuez de parler de la vie, que pour vous la vie est toujours là, si simple, si vive, si pleine, si merveilleuse au fond, et je ne suis pas sûr d’y croire autant que vous. Dans mon alternance jour-nuit c’est plutôt la nuit qui arrive, un jour pas si lointain je ne serai plus là, le monde bien sûr continuera d’exister, pire peut-être, ou, j’espère, meilleur, et j’aurai le sentiment d’avoir fait si peu, si tard, si vite. Alors, pendant qu’il est encore temps, je continue de faire ce que je fais depuis celui si lointain de la mansarde de mes huit ans, ouvrir une lucarne sur le ciel (qu’importe sa couleur, il est toujours le ciel) tout en dressant autour de moi non pas un mur, mais une cloison, une cloison de papier pour me protéger du froid comme de la tentation du vide.

    Chère Isabelle, je vous baise la main. Parce que c’est celle qui écrit, parce que je ne pense pas qu’elle ait jamais tendu d’index accusateur, parce qu’elle ne s’est jamais portée à hauteur de votre visage, paume ouverte, pour un salut que nous aimerions ne plus voir, parce qu’elle a la grandeur généreuse de celle de ce dieu barbu descendu chatouiller l’index rêveur du jeune Adam sur le plafond de la chapelle Sixtine.

    Raymond

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